L'AGENDA PLEIADE III - 1998
Vendredi 2 janvier
Une foule se presse
pour obtenir des
papiers sans lesquels
la société ne la
reconnaît et la punit.
Parmi ceux-là qui
constituent la foule,
je lis des articles de
presse consacrés à des
livres et à des
écrivains. L'un se jeta
dans la Seine, en
France. Je dois avoir
aussi ce papier.
Samedi 3 janvier
Cette foule là de
l'après-midi, de
laquelle j'aime être.
L'appel du dehors
m'emmène jeter les
lettres dans la boîte à
la Poste. C'est déjà la
nuit, la rue encore
animée, et qui se
solde. Langues hautes.
Dimanche 4 janvier
Le lendemain un long
ruban d'asphalte vous
mène à plus de 400
kilomètres, tempête à
l'ouest, inquiétude à
peine. Et déposé au
Châtelet, vous plongez
dans une librairie où
vous attend un fils et
une anthologie des
poètes irlandais du
vingtième siècle.
Lundi 5 janvier
Il y a une
précipitation à
revenir. Ne revient-on
pas trop vite ? A-t-on
approché et vécu le
désir souterrain de
l'aller ? Où est le
centre d'intérêt ? S'il
n'y avait rien
ailleurs, et que la
matière était bien
étalée, là, sur les
tables principales ? Et
que celles-ci étaient
comblées des langues
étrangères ?
Mercredi 7 janvier
Pourquoi ? Et parcourir
ce chemin comme un
rite ? Aller à la
Bibliothèque, chercher
et lire ? Des textes qui
nourriraient une
question que je me
pose ? Combler le vide
de ce qu'est la vie ? La
vie, cette longue ou
courte étendue dans un
temps ? Nourrir ! De la
chasse au livre ! Qu'est
ce corps placé entre
deux autres lecteurs ?
Jeudi 8 janvier
A travers la vitre du
bâtiment, il me
regarde. D'autant plus
que je lui ai souri.
Perplexe et soupirant
de me voir ouvrir un
cartable et d'en sortir
cahiers et livres. Puis
c'est moi qui le
regarde. Il me tourne
le dos et lève sa
bouteille, et boit au
goulot, et plonge ses
doigts des mains dans
l'oreille et les
cheveux.
Lundi 12 janvier
Où se trouvent les
hommes ? Dans les
avenues couvertes de la
consommation qui nous
abritent, y compris
entre deux plages
quotidiennes d'heures
de bureaux, avec
sandwiches, plats du
jour, regards aux
vitrines, et sans doute
aux autres humains.
Chacun attend qu'il
soit l'heure. Avec
chacun une petite
angoisse au-dedans de
lui.
Mardi 13 janvier
Nous avons ressenti le
ciel bas, un rendez-
vous remis qui nous
abandonne dans une
liberté imprévue,
battant le goudron de
la ville, puisqu'il
semble qu'il soit
inutile de rentrer chez
soi, devenant étranger,
se sentant suspect aux
lieux inhabituels,
jusqu'à rattraper une
idée, une bonne idée,
qualifiée bonne par
l'utilité.
Vendredi 16 janvier
J'ai parcouru la rue
Baudelaire sous le
crachin, entre les murs
gris percés de grilles
rouillées laissant
percevoir les cours, les
jardins d'hiver
dépourvus de tout, son,
autre âme que la mienne
aux yeux qui cherchent
cette beauté lépreuse
et sans volupté.
Lundi 19 janvier
J'ouvre les livres et
sais bien que ce qu'ils
abordent est loin de
l'objet de ma
recherche. Comme
approche. Avant
d'entrer dans le sujet.
Avec un temps imparti.
Une donnée précise. Une
attente d'un
commanditaire. Et le
savoir et mon
incompétence, et ma
critique du sujet.
Mardi 20 janvier
Des projets. Mais rien
n'a la consistance du
tangible. Plutôt tout
est vacance avec
essais, approches,
parcours, touches. Même
dans les explications
rendues aux questions -
Que fais-tu ? Que vas-tu
faire ? Tu as un projet
précis ? Tu vas
travailler ? Essayant
que la langue prononce
le possible aussi de ne
rien faire.
Mercredi 21 janvier
Là où vous allez il y a
des jardins que partage
le soleil d'ombres de
façades non encore
dépassées. Autour,
lorsqu'ils sont fermés.
Dedans, les allées,
celles où flâner,
côtoyées des bancs pour
le repos. Au-delà des
façades, la rumeur de
la ville vous parvient,
et sonore suivant
l'heure.
Jeudi 22 janvier
La fin du jour apporte
le crépuscule, et la
mort, et d'autres
parcours et visites et
rencontres. Lorsque
nous quittons le lieu
pour aller dehors, nous
faisons la pénombre sur
ce que le jour ou
l'électricité
éclairait.
Lundi 26 janvier
Et une fois qu'on a
fait le tour de la
ville ? Et bu un verre ?
C'est toujours trop
vite, et finalement on
n'achète pas le livre,
et finalement la
brasserie est trop
propre. On retourne
autour du centre, à la
lumière, et on ne se
perd pas. Je suis en
perte de ne pas aller
loin dans l'ombre.
Mardi 27 janvier
Quels frôlements
supplémentaires
souhaite-t-on, à
parcourir la Ville et
ses lieux les plus
bruts, mêlés et en
nombre ? Pouvons-nous
sans cesse être enlevés
par les regards,
éblouis ? Quelques
minutes souhaitées
éternelles ?
Mercredi 28 janvier
Il y a tant de violence
enfouie. Nous aimons
les humains, mais
craignons leur réveil
brutal à toucher ce
qu'ils acquièrent de moins
nécessaire, leur
propriété. J'ai pu voir
comment se transforment
en laideur les visages
qu'on avait vus beaux,
lisses, admirés.
Maintenant nous lisons
leur possibilité.
Vendredi 10 avril
Nous attendons qu'ils
disent quelque chose
des pensées convoquées
que nous avons déposées
au livre. Nous savons
qu'ils disent peu,
écrivent rarement. Nous
surveillons le
téléphone
exceptionnellement.
Nous patientons. Nous
nous réservons pour
plus tard. Nous partons
bientôt. Nous pensons à
poursuivre de dire.
Lundi 13 avril
On ne s'allège qu'à
peine. On vérifie qu'on
a encore autant
d'années de conscience
à marquer anonymement.
Cela donne une
ouverture, un espace
immense. Quand on sait
le temps d'une heure !
Sans compte à rendre. A
soi seulement.
Magnanime ou exigeant ?
Les regards, surtout.
Mercredi 15 avril
Le peu de jour qui
reste fait noeud dans
le ventre. Au lever du
jour, lorsque nous n'y
sommes pas encore
entrés. J'attends son
heure, et la mienne.
Les amis fêtent le
départ, témoignent de
leur coeur. Nous
continuons à rythmer
les derniers jours dans
la ville.
Mercredi 22 avril
La préhension de l'île,
l'abordage par son
attrait le plus morne,
la mer grise sans trop
d'exubérance, le
monticule premier de
terre, et peu haut, et
tout de suite au-
dessus, le ciel gris
foncé. L'anse du port
est brute. Ce n'est ni
une ville, ni un
estuaire. Une base.
Rien de splendide. Pas
de parade. Je
m'exprimais : aucune
hypocrisie.
Jeudi 23 avril
Les fenêtres allumées
des habitations. Le
soir et le matin.
Quelle chaleur dans
leurs intérieurs ?
Quelle froideur ?
Comment sont les voix
qui parlent ? Que
désirent-elles ? De la
misère présupposée ? De
demain ? De tout à
l'heure ? Lorsqu'une
journée encore
commence ? Aux gestes
répétés, son parcours,
jusqu'à réallumer ?
Vendredi 24 avril
Le silence permet au
matin de livrer tous
ses bruits, ceux du
réveil. D'une nature et
d'une humanité. Les
sons divers des engins
qu'elle fabrique pour
son usage, qui la fait
aller à l'usine, au
magasin pour les
vendre, pour les
acheter, la transporte
au travail.
Samedi 25 avril
Quant tout est neuf et
que nous avons le choix
de l'exploration. Tout
est neuf du déjà là non
encore accédé. Les
moyens peuvent manquer.
Le neuf a une
géographie si vaste. Je
parle de l'exploration
par la marche et des
milliers de chemins et
des millions d'atomes
que reçoit le corps en
se frayant son chemin :
sa difficulté.
Dimanche 26 avril
L'attention est telle,
et le regard tant
acéré. J'ai perçu que
l'oreille aussi. Qu'une
journée offre des
incidents, je dirais
même que les incidents
s'offrent, comme
sachant que nous allons
leur porter l'attention
inhabituelle et
chaleureuse.
Lundi 27 avril
La rumeur du travail
au-delà, d'engins
invisibles, sourde ou
aiguë, machines en
mouvement, creusement,
découpe, enlèvement, va
et vient, tombée,
freinage, blocage. Une
main probablement tire
à soi le manche
métallique et déjà
chaud. Plus proche, des
oiseaux. D'au-delà et
avec, les cris des
mouettes. Est et port.
Mardi 28 avril
Sentir le bonheur
malicieux et
moralisateur dans le
livre de l'ami, et
l'imaginer se réjouir,
les yeux plissés, un
chapeau à la chinoise
les protégeant du
clignotement du soleil.
Alors que celui-ci, ce
même soleil, déjà levé
au-dessus de la mer,
haut d'un immeuble,
éclaire, tôt, de l'est
on le sait, la page et
la ligne et les
premiers hiéroglyphes
signifiants du jour.
Mercredi 29 avril
Comment lit-on la rue ?
Et ses obstacles ?
Qu'est-ce que cela
laisse d'informations ?
Où cela touche, du
corps de l'humain, cet
animal souple qui se
faufile, s'arrête,
attend, tend le cou,
tend l'oreille, ouvre
la bouche, émet des
sons, échange avec un
autre animal, parle,
dit-on en son langage,
calme et agressif
suivant, suivant quoi ?
Jeudi 30 avril
L'agenda donne le
défilement des jours.
Sans drame ! Au bas de
la page, je compte le
cinquième jour. On ne
sait ce qu'il sera tant
est ouvert le temps en
ce moment qui nous
laisse pénétrer la
Ville, ses rues, sa
foule, sa rumeur, sa
langue. Le stylo levé
et les lignes vides
laissent place aux
souvenirs.
Samedi 2 mai
Se lever avec le soleil
agrandit le jour, mais
aussi la sensation du
silence, du vide, de
l'absence, de
l'éloignement, du que fais-
je ici ? Où vais-je ?
Pourquoi suis-je et
comment unique ? Dans
une rue déserte, et
interlope, un chemin
inhabituel.
Dimanche 3 mai
Il y a quand même
toujours un peu de
soleil et de chaleur
pour réchauffer la
laideur et la misère
des corps et les
détresses plus fortes
imaginées et si
discrètes, comme les
murs ou les escaliers
où elles s'adossent le
jour. Si peu, si
rapide. Je pense,
alors, aux nuits.
Lundi 4 mai
Nous ne savons assez de
la destruction nous qui
demeurons chez nous,
entre nous, et pourtant
vigilants. Dans notre
sain environnement,
souffrant de ce qui
nous vient du monde,
nous ne vivons pas les
désastres. Degré
d'approche :
l'archéologie du
désastre, l'archéologie
parmi les vivants et
les contemporains, murs
et déchets et toute
sorte de herses.
Mardi 5 mai
J'aime quand le matin
vient et hâte mon
lever. Quoi aujourd'hui
pour mon regard et
toujours éclaircir ma
conscience ? Quelle
chance m'a donné
l'analyse et m'a ôté la
naïveté de croire ?
Quelle électricité meut
les bons neurones de
la dialectique, la
poétique d'une syntaxe,
mes membres pour aller
à l'essentiel le plus
dense ?
Vendredi 8 mai
La lumière provient
d'un soleil dans un
ciel chargé d'eau. La
rivière Liffey est une
vaste étendue en bronze
jusqu'à la mer
lorsqu'elle traverse
Dublin. Nous disons
qu'elle est une coulée
de Guinness en pression
directe de la brasserie
sur sa rive.
Samedi 9 mai
Les bruits d'ailes.
Déploiements et
battements.
Bruissements,
frémissements. La
palpitation des gorges
aux roucoulements. Sous
le duvet et les plumes.
On parle de cris
d'oiseaux. Crient-ils ?
Les scientifiques ont
des mots poétiques que
nous devrions nous
approprier pour notre
usage quotidien, et
colorer et frémir les
heures.
Mercredi 13 mai
Les parfums sont
ailleurs, et de
l'homme. Dans les
jardins cultivés,
agencés, entourés de
grilles,
majestueusement
dessinés en abandon
sensuel, ou rigoureux
et mornes, ou
militaires. Les odeurs
sont l'abandon de
l'homme, sont sans
l'homme, peuvent être
du trop d'hommes, de
leurs négligences, de
leur misère comme de
leur arrogance.
Jeudi 14 mai
Un soi-disant
sculpteur, comme
Sisyphe, coupe la
pierre, puis l'expose,
et coupe une nouvelle
pierre, et la pose,
puis prend une nouvelle
pierre, qu'il coupe. Il
vient à l'heure sur son
lieu de travail, enfile
ses vêtements de
travail, protège ses
oreilles, sa
respiration, et prend
une pierre, et la
coupe, et cela depuis
quatre semaines.
Samedi 16 mai
Il y a une dignité dans
la propreté, sur soi,
et aux fenêtres. Même
les corps, autant que
la rude vie, ne les a
escarriés, la tenue,
entre les traces. D'où
vient que les dehors,
les jardins, les rues,
sont si sales, alors
que les linges sont
tant bouillis et
brillent aux séchages
sur les balcons ?
Dimanche 17 mai
Je ne dis plus les
maux. J'ai longuement
hésité à le dire ? Comme
je tais davantage. Et
alors je pense à tous
mes amis qui ne se sont
jamais permis de noter.
J'ai conscience de cet
orgueil.
Lundi 18 mai
Le ciel permet
d'essayer d'être beau.
Une légèreté de
chemisettes blanches
découvre les gorges et
les épaules. Une brise
passe dans les cheveux.
Les rayons du soleil
découvrent les visages,
les yeux rieurs, et
plus bleus encore. La
rue frissonne de
plaisir. On ne sait
plus où est la misère
sinon dans le cri de la
mouette.
Mardi 19 mai
Je connais cette
disposition des humains
aux cafés, nos
silences, nos
injonctions, nos
carafes et nos verres,
nos pleurs intérieurs,
et rires forcés. J'en
sais et la dureté et le
bonheur. J'en sais le
moment où il faut se
décider à rentrer chez
soi.
Samedi 23 mai
L'enfant -la filiation-
demeure dans la plus
grande fragilité. Nous
restons l'enfant toute
la vie, de toute façon,
et inéluctablement.
Comme pareillement nous
pouvons être le père ou
la mère. C'est sans
doute dans cette
relation parentale
seule que nous ne
pouvons nous défaire de
récriminations.
Dimanche 31 mai
Attente du moment. Lieu
repoussé. Parcours
qu'on sait pour soi
seul. Ce qu'on voit qui
ne nous appartient pas.
Ce qui est vu ne sait
ce qu'il procure ? S'il
savait ! Tout humain et
toute chose. Immense
malentendu. Les mains,
les bras, le souffle,
une seule vie, ne
suffisent pour tout
embrasser de ce qui
nous émeut tant.
Jeudi 11 juin
Tout ce que sont les
autres et que nous ne
sommes pas.
Vendredi 12 juin
Comment tant d'eau ne
cesse de rouler ?
Epaisse, renouvelée,
jusqu'à d'autres eaux,
elle emprunte
l'inclinaison droite ou
sinueuse d'une terre
qui serait ronde.
Toujours nouvelle,
jamais la même à notre
regard depuis les
rives.
Lundi 15 juin
Le bruit d'au-delà. Je
voudrais aller au-delà
et voir le bruit, les
hommes du bruit.
L'aliénation du mur,
l'occultation, de ce
qui sépare, éloigne,
rend étranger, laisse
sur la touche. Je veux
être dans le bruit. Il
n'est pas loin ! Tu n'as
qu'à y aller ! C'est toi
qui restes là !
Mercredi 17 juin
Tant d'humains, tant
d'humains ! Les
bâtiments
universitaires
regorgent d'humains.
Essaim d'abeilles.
Bourdonnement.
Inquiétudes. Se
dépêcher. Peu d'écarts.
Peu possible, à moins
d'être poète, égaré là
par les voies
sociétales,
inconsciemment encore,
déjà séparé. Parmi les
futurs efficaces.
Jeudi 18 juin
Les images. La
photographie et la non
connaissance, la non
conscience. La carte
postale et
l'embellissement, la
partialité. Mais aussi
mes propres images sont
sujettes à fausse
interprétation. Quoi ?
Le jugement rapide, la
tendance à la
commisération, qui
exonèrent l'où.
Dimanche 21 juin
Ecrire le poème à
l'homme, définitif.
Cela fut fait,
et encore. Nombreuses
fois. Mais peu le
lisent. On pourrait
exiger que cela
changeât l'humanité.
Mais non. L'humain naît
sans cesse. Certaines
naissances, après
l'expérience,
réécrivent un poème
définitif, qu'à lire on
penserait qu'il puisse
être une leçon, que
trop peu lisent, etc.
Samedi 27 juin
On leur ferait pourtant
confiance. Et tout est
là. S'il n'y a de
conflit, personne ne
fait attention. Il a de
toute façon confié ses
affaires à plus
ambitieux que lui. S'il
y a conflit, il casse,
je le comprends, seule
parole qui lui est
possible. Il peut aussi
égorger et tuer. Ses
élus s'en alarment
moins que des casses.
Vendredi 3 juillet
Nous provoquons des
gestes et parfois
nouveaux. Nous
initions. C'est peut-
être là qu'ainsi
s'ajoute à l'homme. A
génération. Croyons que
les ajouts se
perpétuent. Gains pour
l'humanité ? Oh ! Déjà la
chaleur pour
maintenant, grandir les
aires possibles.
Samedi 4 juillet
Qui, de l'homme ou de
l'oiseau, parle le
premier les matins ?
Lequel des deux appelle
au tragique le plus
tôt ? Et lance ses bras
ou ses ailes, et ses
cris ? Cela commence
bien avant mon lever,
et je les entends, l'un
et l'autre, ensemble ou
chacun à son tour, puis
je les oublie.
Mardi 14 juillet
Ensuite ils pénètrent
dans l'aire pour se
restaurer. Tout est
organisé, qui les
attend. Ils prennent un
plateau, et passent
devant des mets
cuisinés ou fabriqués
dans des usines, en
choisissent quelques-
uns, paient avec de
l'argent, s'installent
à une table, et
mangent.
Mercredi 15 juillet
Auparavant, le matin,
et parfois le soleil
est déjà haut l'été,
ils quittent en flots
et vagues des moyens de
transport, et on les
voit marcher vite,
parfois courir, sur
leurs deux jambes, sur
les trottoirs, jusqu'à
l'entrée de grands
bâtiments qu'on appelle
usine, ou service, ou
administration, et dans
lesquels ils entrent.
Vendredi 17 juillet
Ailleurs, et
clairsemés, et c'est
bien aussi des humains,
ils peuvent être dans
des bars, parfois
silencieux, parfois le
verbe haut de table à
table qu'ils occupent,
et leur visage semble
apaisé, peut-être
triste, portant de la
douleur, blessé,
semble-t-il, et
paraissant avoir le
temps, du mal à partir,
et certains restent
toute la journée.
Mardi 21 juillet
Quant à moi, qui en
suis un, un humain,
j'essaie de poursuivre
quelques chemins de
traverses, qui mènent
aux lieux interlopes.
Bien sûr j'y dénote, et
je dois répéter ma
demande. D'autres y
sont chez eux, que je
ne fais que frôler.
N'est-ce que peu, et
mesquine tentative de
l'éloignement ?
Vendredi 24 juillet
Entre ce moment où ils
débarquent pour
produire et servir, et
celui où ils se
restaurent, ils
découvrent ce qu'ils
appellent les
nouvelles, et ceci dans
de grandes feuilles de
papiers, imprimés
d'ailleurs par certains
d'entre eux, ce qui
leur permet de savoir,
et de tenter de peser
sur le monde.
Mardi 28 juillet
Lorsqu'ils déploient
leur journal quotidien,
je peux lire, suivant
où je me trouve, des
mots que, s'ils ne me
sont pas familiers, je
ne comprends pas
toujours. J'ai alors
connu qu'ils ne parlent
pas tous la même
langue, c'est-à-dire
que le même mot, pour
exprimer le même sens
ou une chose même,
s'écrit et se prononce
différemment.
Mercredi 29 juillet
Nous pouvons en croiser
avec qui nous
échangeons un sourire,
quelques-uns que nous
reconnaissons, furtif
comme l'éclair, ou
répété lorsque existe un
va-et-vient des uns et
des autres à un même
lieu. Ce n'est pas
moins qu'un temps avec
sa durée propre de
plaisir, d'amour, de
gaieté, qui s'ajoute aux
clartés des jours.
Jeudi 30 juillet
Il y a un moment du
temps qu'on peut, par
exemple, entre autre
répartition, diviser en
jour et nuit, pendant
lequel on ne voit plus
d'hommes. Ils sont nous
sommes chacun chez eux
chacun chez nous, à
l'abri des regards,
avec encore d'autres
gestes, que nous dirons
plus intimes, plus
solitaires.
Vendredi 31 juillet
Il est possible, très
vite, pour peu que nous
nous déplacions, dans
peu d'espace même, de
voir deux types de
visage. L'un est lisse,
l'autre blessé. Dans
cet espace même, il y a
une répartition
géographique, avec
chacune son visage. Les
visages lisses et les
visages blessés ne
fréquentent pas les
mêmes quartiers.
Lundi 3 août
Ils s'absentent, ils
s'oublient, ils ne
doivent plus rien, et
pendant quelques jours
qui forment des
semaines, et puis ils
reviendront produire le
capital des autres dont
on a du mal à
s'imaginer la fortune
en argent tant c'est
inimaginable, hors du
commun, qui s'absentent
aussi, s'oublient et ne
doivent rien.
Mardi 4 août
Nous disparaîtrons tous
est cette phrase qui
tombe alors que je
marche, et marmonnée
longtemps en me disant
qu'il ne faut cesser de
la lui dire, à
l'arrogance. Et
Baudelaire l'avait
écrit avec plus encore
de violence -si c'est
possible- et par le mot
choisi : que tous,
beaux, parviendrons à
l'état de charogne.
Jeudi 6 août
Avec une belle
assurance, la jeunesse
vous dit, sous la forme
-le ton- de vous
l'apprendre, ce que
vous disiez il y a
trente ans. Vous devez
lui répondre qu'elle a
raison, et la
remercier. Alors vous,
vous aurez quelques
exemples qui vous
confortent, elle et
vous, et elle les
siens, fragiles.
Vendredi 7 août
J'ai rencontré les gens
autour de moi, et par
bonheur ils n'étaient
pas dans les journaux,
par bonheur je ne
vivais pas dans la cour
des grands, par bonheur
j'étais incapable d'en
appeler, par bonheur je
me demandais ce que
j'aurais bien pu leur
dire, par bonheur ces
amis restaient libres.
Lundi 10 août
Il nous arrive tous
d'être sans parole. Il
faut qu'il le sache,
l'être humain qu'on
conditionne par
séminaires, à qui on ne
dit surtout pas que
nous sommes peu de
chose, ni que nous
pouvons être très
grands.
Mercredi 12 août
Mais tout de même, il
en est qu'il est bon de
savoir mis en exergue,
tant ce qu'ils font, ce
qu'ils disent peut
permettre à quelques-
uns d'être éblouis, de
rompre, de n'avoir plus
de repos, que celui du
ciel le plus grand, de
l'espace le plus
ouvert, pour à jamais y
être vigilant et
donnant.
Lundi 17 août
Nous commençons
toujours. Aux dates.
Aux jours. Dès l'aube.
Aux lundis des semaines.
Je commence aussi en
septembre, et, malgré
tout, entraîné par les
autres, le 1er janvier,
et parfois avant son
aube, quittant des
fins. Aux hauts des
pages. Aux premiers
feuillets des carnets.
Dans une rue. A tout
regard.
Mardi 18 août
Le dire peut s'épuiser.
Ce que nous pouvons
dire. La nasse des
captures des sens vide.
Nous ne sommes pas
fatigués, mais
essoufflés quand même !
Et nous avons tant
d'amis. C'est dans le
moment du silence. Et
nos amis nous en savent
gré. Rester sans voix.
Il faut le savoir, et
ne pas en avoir peur.
Vendredi 21 août
Prendre dans la main,
par poignée. Par
grappe, rassemblement
des fruits. Moissons
des blés lorsqu'on
défait l'été. Boire
gorges ouvertes. Les
rires à grandes ailes
blanches et déployées.
On s'étendrait sur le
sable. On ramasse des
coquillages. On craint
l'eau.
Samedi 22 août
La grappe des fruits au
dessus de notre visage
levé, bouche ouverte.
Et les dents entre les
lèvres attrapent sans
compter plusieurs des
grains noirs qui
remplissent doucement
et sucrés notre palais
et entourent notre
langue de leur pulpe
et suc. D'autres fruits
encore des vergers.
Lundi 24 août
I so strongly love
language, would try to
write poems in some
foreign language, I
hear the songs of all
those languages, and I
hear the so many sounds
from those so many lips
with inside their mouth
those tongue that talk
all those languages.
Mercredi 26 août
Un son de voix si sûres
et vous tournez la tête
pour voir des visages
si jeunes. Vous pouvez
parfois entendre le
sujet des mots assurés.
L'échange, s'il devient
confidence, et parce que
vous êtes proche ou
aperçu, se poursuit à
son plus bas, ces
visages-là se
rapprochant et
sérieux, sans rire.
Vendredi 28 août
Il y a des aires plus
calmes, plus douces,
avec des fleurs et des
rires francs, des
éclats d'eaux de
fontaine, des parterres
arrangés, des bancs
accueillants et
honorés. Le jour, le
soleil les sécurise.
Aires d'un type
d'humains qui se
choisit son aire. Je
regarde les visages,
les pas, et je dis
qu'il n'est pas
possible de distinguer
leur urgence ou non
urgence.
Lundi 31 août
Il y a lieu de
connaître comment
disent les mouettes, et
ce qu'elles disent, qui
nomme notre rue et ce
qu'il fit. Oui pour les
mouettes qui mêlent ce
qu'elles disent à nos
silences et
conversations, volent
au-dessus de nos têtes,
rigolent et souffrent,
provoquent ou
s'effraient.
Dimanche 13 septembre
Il y a bien ce moment
précis des choses, et
qui vous fait vous
lever et faire vous-
même les gestes. Par
exemple pour écouter
une musique. Par
exemple quérir un livre
et l'aborder. Par
exemple penser à
quelqu'un et commencer
la lettre.
Mercredi 16 septembre
L'eau porte les voix.
Elles parlent
doucement, là-bas, un
peu plus loin, entre
terre et île, sur une
barque, et montent aux
balcons. On entendra
aussi, et on n'oubliera
pas, le son des moteurs
des petits bateaux de
pêche. Aussi celui des
roues des voitures dans
les flaques d'eau.
Vendredi 18 septembre
La mer s'échoue à
chaque millimètre des
côtes des terres des
continents. Nous la
voyons perpétuellement
gagner la terre. Et je
me demandais où elle
commence. Elle s'emplit
aux estuaires, en se
mêlant d'abord aux eaux
du fleuve, parfois même
débordant de recevoir
tant alors qu'elle est
déjà si pleine.
Dimanche 20 septembre
Elle dit aimer que je
prononce ma_ka au lieu
de ma_ka. On ne sait
les sons. On ne connaît
pas nos sons. Nous ne
connaissons pas, nous
ne maîtrisons pas cela
que nous donnons sans
cesse aux autres. Les
autres savent-ils ce
que nous donnons ainsi ?
Mardi 22 septembre
Ce n'est pas la peine
d'en repousser l'écrit
et posons aujourd'hui
sur le papier les
toutes fraîches
nouvelles : à prolonger
la vie commence autour
de soi à disparaître
des amis, et d'autres
souffrent de leur
corps. Cependant que
les jeunes gens
achèvent leur journée
sur les diverses
promenades, et qu'on
les regarde.
Mercredi 23 septembre
Il y a aussi des bruits
justes. Pas ces voix
trop fortes des voisins
sans charme. Mais des
ailes de palombes pour
se jeter en avant, au-
dessus de ma lecture.
Ou le son du trait ? Le
son de sa trajectoire ?
Sa traversée dans
l'air ? Des invisibles
atomes ? Le sifflement
du déplacement.
Dimanche 27 septembre
Laisser la vacance et
son temps. Lorsque je
sais son temps. Y
puiser même ces
caresses dedans aussi
contenues. Essayer
d'allonger ses moments.
Les moments du dehors.
Lorsque les dedans
manquent de lumière et
d'air.
Mardi 29 septembre
Des objets ménagers
distribués en leur
rangement précaire
d'utilisation, et en
matière plastique,
forment une nature
morte haute en couleur.
Aujourd'hui, une
installation, et
justement disposée.
Incluse dans son
espace. Et bien incluse
dans son espace vital.
Mercredi 30 septembre
Non ! Non ! Si ! si, ils
sont très nombreux les
êtres qu'on a
rencontrés, parfois très
peu, et qu'on estime.
Vendredi 2 octobre
Nous marchons les yeux
encore humides, le
matin quand nous allons
à la vie du dehors.
C'est un des moments où
l'homme est encore très
beau, tellement
fragile, laissant à
plus tard son discours,
sa leçon, encore
tremblant peut-être
bien de peur. Il vient
juste de s'ébrouer, et
comme encore nu.
Samedi 3 octobre
Ces yeux de ceux qui
commencent ! Regardez
bien les yeux de ceux
qui commencent. Sans
ride. Leur front, leurs
mains qui montrent, que
là c'est ça. Ceux-là
qui brillent. Et dont
les rides seront celles
des sourires, des
sourires anxieux, bien
sûr. Oh ! ces yeux de
ceux qui commencent !
Lundi 5 octobre
Cette musique de ce qui
se met en route, le
matin. Il en est une qui
est particulière au
début de chaque
semaine. Son matériau
est le stockage de la
veille, à, en quelque
sorte, broyer, et celui
à mettre en place à
nouveau. Entendez bien
qu'il se déplace, dans
ses travaux qui
avancent.
Jeudi 15 octobre
Et nous savons des
lieux chers. Et nous
les approchons. Et nous
passons maintenant
devant des lieux des
amis disparus.
Vendredi 16 octobre
Avez-vous dans vos yeux
autant de visages qui
vous accompagnent pour
toujours, et encore de
nouveaux, et lorsqu'ils
passent, à leur tour,
quelles rides plissent
vos yeux pour mieux les
voir, dans chacun leur
paysage, leur douceur,
qu'ils vous aient un
peu appartenus ou non ?
Samedi 17 octobre
Il y a sans cesse des
derniers jours, et nous
pouvons avoir le cur
serré de quitter,
quelquefois longuement,
dans toute saison. Je
les commence le plus
tôt possible pour
encore humer leur
automnale sensualité
ocre et chaude,
assister à leur lever,
et les vivre de tout
leur long.
Vendredi 30 octobre
Il y a ces heures où
nous ne sommes pas
fiers, lorsque nous ne
savons pas, plus, ce
que nous faisons sur
terre, et qu'est-ce,
là, tout ce que nous
faisons, à quoi sont
utiles toutes ces
lectures, et cela sur
la table, lettres,
photographies, et
listes de choses à
n'oublier de faire.
Samedi 31 octobre
Nous pouvons lâcher le
temps, le laisser aller
sans nous. Moi, j'ai de
la difficulté à ainsi
parvenir à me persuader
de rester au repos, et
de ne faire rien. Je
tente de repousser à
plus tard, de donner de
la plus ou moins
importance aux choses
et aux hommes.
Dimanche 1er novembre
Nous venons d'ailleurs,
et ils ne le savent
pas, et nous disent, et
nous informent tant ils
connaissent notre
écoute et notre posture
de passeur. Nous venons
d'ailleurs, et
longtemps, et ils ne le
savent pas, et ils ne
le sauront pas.
Samedi 5 décembre
Un homme âgé, et du
village calme et abordé
par la mer ensoleillée,
nous a dit qu'à à peine
trois kilomètres à
l'intérieur des terres,
mais bien au bas des
montagnes, l'autre
village a été
entièrement brûlé, et
ses habitants tous
égorgés.
Dimanche 6 décembre
Je ne peux m'empêcher,
en écrivant sur
l'agenda, de voir que
l'année s'achève, et de
constater que j'en fais
toujours l'unité de
temps, avec son
commencement et sa fin.
Et vraiment à ce jour,
j'attends janvier
prochain. Cette année,
tout est fait !
Mardi 15 décembre
Les artistes, la plus
part d'entre eux, n'ont
pas pris la mesure de
la différence de langue
qu'ils parlent, d'avec
celle proférée par les
hommes et les femmes à
qui ils veulent vendre.
Puisquils veulent
vendre, la plupart
d'entre eux. Et c'est
ce non savoir qui fait
qu'ils ne sont que des
artisans.
L'AGENDA PLEIADE IV - 1999
Vendredi 1er janvier
" Je t'aime ", " un vol
plané derrière
le cactus rouge
Le jour se lève "
" Mourir me fera
vivre éternelle "
" Adriana, adria-
natiquement tienne "
" Chouette ! Un
réveillon avec des
vieux et des jeunes
cons que j'adore "
" 3 GLACK JUMP. "
" Eh, oui espèce de "
Samedi 2
Ils ont écrit cela, ils
ont dit cela et nous
avons un peu froid à
la peau, et nous
sommes indécis, et
où nous portent
nos pas, déjà c'est
différent pour chacun,
et maintenant, pour,
l'un, c'est devenu l'
heure de la musique.
Moi je m'aperçois de
l'erreur d'un jour,
j'écris sur le 2 le
sentiment du premier
jour de l'an.
Lundi 11
Maria Rita nous atten-
dait et nous accueillit.
Avec Simoné qui
jouait avec la neige
et sa bicyclette. On
ouvrit la maison
ensemble. Nous ne
pouvons nommer ceux
qui nous ont vus et qu'
on ne vit pas. Ni
ceux qui travaillaient
aux oliviers et qui
se retrouvèrent
au grincement de la
porte de l'église.
Mardi 12
Nous sommes un peu plus
à l'est qu'à l'habitude,
et l'horizon est très ouvert,
sur des mots et arbres que
le soleil du matin
brunit dans les
verts. Cette matinée là
celui-ci réfléchit
dans l'eau des givres
qui se réchauffent et
fondent, et augmente
les lumières partout.
Une toute petite table.
Mercredi 13
Une plus grande table,
et il est possible d'y
transporter l'agenda,
l'y poser, l'ouvrir, et
y écrire. Aucun bruit.
Le jour s'est levé
en silence, le soleil
aussi, qui caresse
toute découverte
dans le froid bleu.
Où sont les humains ?
Et que font-ils ? Les
jours apporteront-ils
des réponses ?
Jeudi 14
Le jour suivant n'est pas le
même. Je veux marcher
seul et c'est si rare. La
plage, et cette mer si
abondante que je m'éton-
ne qu'elle ne femmes de
déborde pas, si puissante.
Le très long marché
forain, ceux qui
vendent, et le public.
Dans le soleil les prome-
neurs sont habillés, les
fourrure. Guère à la mode.
Vendredi 15
A la poste on a saisi
que nous étions là et
que le courrier devait
nous arriver. Un grand
nombre de visages
apparurent. Il
nous a été remis les
premières lettres, toutes
essentielles, nécessaires.
Il fallut aller au café.
Nous fûmes chez le
menuisier. On nous
répondit où aller
déjeuner le dimanche.
Samedi 16
Le mercier, qui vend
aussi les journaux,
et les cartes postales,
n'est pas un signore.
Il signore è
sulla croce
Le seigneur est sur
la croix se défend-
il ! Il est ainsi
très astucieux, mais
à nouveau rencontré
au café où il se
restaurait d'une
pizza je ne l'ai pas
compris.
Dimanche 17
Un jour de pluie. Les chasseurs sont peut-être dans les brumes
qui se déplacent. Nous essaierons un restaurant du dimanche au
village, et cela pour une immersion ligurienne.
Lundi 18
Il faut peut-être attendre
le soir, que le jour ait
apporté. Ce seront : le
courrier, la Ligurie
ponente et sa mer
pleine, les balcons
de Savona, mes yeux
partout, la marche
dans la ville, sur le
sable, le soleil, le
photographe, ce que j'ai
en moi, les boucles des
cheveux des femmes d'ici,
le nom enfin d'un roc.
Mardi 19
A huit heures dix j'ai
voulu voir si le soleil
s'était levé derrière
le flanc de la Roche
de Perti. Mais non.
Cependant ses rais
ensoleillaient déjà
la colline et les
bruns des chênes
qui ne perdent pas
leurs feuilles d'automne,
dans les verts des
oliviers et des
maquis.
Mercredi 20
A cette heure où le
soleil va disparaître
derrière, la colline,
est une masse
de velours gris noir,
uniforme et voilée.
Des coups de feu
traversent la vallée
et résonnent, des
chiens aboient, c'est
aussi le retour d'enfants.
Le silence est bien
le vainqueur et
le froid reprend son droit.
Jeudi 21
Est-ce velours, est-ce moire
ces tissus, ces écrans,
tendus, ces douceurs,
fourrures, ce sont
les brumes, des étendues
d'atomes, et qui
se déplacent, le jour,
avec les heures, traversées
des battements des poussières,
du sciage des bois, des
voix des animaux, des
klaxons rares aux virages
montagneux de la
circulation des hommes.
Vendredi 22
La grande table. Nous
tentons d'en laisser
l'espace sud vide, et nous
y dressons nos couverts.
Le jeu, la fruitière et la
légumière, le
courrier reçu, à lire,
le courrier à faire, les
invitations, la carte
d'un restaurant, les
carnets à écrire et
aux destinations
diverses et précises,
mes deux mains.
Dimanche 24
Je dis qu'il faut courir janvier et le bien regarder afin de le
savoir. Puis il viendra février et je veux pouvoir en dire sa
différence. Et ainsi, mois par mois. Et ce sera nouveau, une
expérience. J'imagine, à ce jour de janvier que j'en gagnerai en
lumière.
Lundi 25
Et les jours d'avant ?
Comment étaient-ils ?
Se réjouir d'être là
avant la fin du
ramassage des olives,
et maintenant que viennent
le flamboiement
et le parfum des
mimosas, n'est-ce
pas compter les jours
et aller à demain ?
Qu'est derrière mes
épaules à sans
cesse me pousser à aller.
Mardi 26
Bietola/ Ripieni/
Farinata/ Genova,
Gênes. On peut essayer
de parler la langue
étrangère, de traverser
la ville. Il faut
tourner, entrer, s'
arrêter, regarder, en
haut, en bas, écouter,
entendre, sentir, frémir,
se retourner, aimer,
souvent le frivole. Je ne
retiens rien que d'avoir
ressenti, que tout passe.
Mercredi 27
Je n'ai pas encore fait
le lien avec la mer.
Je la sais mais dans
la hauteur intérieure
est-ce aujourd'hui
le vent ? J'aimerais
que celui qui ramasse
les olives en janvier et
commence à tailler les
rosiers et les hortensias
me propose d'aller
pêcher à l'aube au
large des côtes
qui reçoivent les terrasses.
Jeudi 28
J'essaie d'écrire un
quatrain. Ai-je jamais
écrit un quatrain, oui
sûrement avant mes 18 ans.
La tentation est-elle
baudelairienne,
la jeune vendeuse,
à l'étal de la rôtisserie
du marché de Finale,
au bord de la mer,
était si belle, si
impossible là avec ses
rôtis, que je remonte
le flot ensoleillé de
ses cheveux sous la
coiffe blanche, etc.
Vendredi 29
Des odeurs ne seront pas
nouvelles, comme celles
des feux des mauvaises
herbes ou des tailles qu'ils
brûlent et celles des
cheminées qui les
chauffent mais nous
les vivrons et nous
les sentirons, et corps et
vêtements en seront
imprégnés. Il en est de
même de cette langue :
nous avons à la
moudre dans la
bouche pour la parler.
Lundi 1er février
Je m'apprends que la neige
tombée sur les monts de
la Ligurie ponente est
apportée par un vent
de Grèce. La terre me
montre qu'on
étend sur elle, et par
bande, des filets pour
recevoir les fruits des
arbres, les olives,
noires. Je sais un
sentiment de trahison
envers une terre que
j'ai quitté par la mer.
Mardi 2
Il y a ces amis si lointains
et je me sens coupable
de ne les voir plus
souvent, comme s'ils
étaient des miroirs
dans lesquels
mon image est blessée,
comme s'ils ne
devaient plus être de
mon présent, parce que
je ne sais donner
assez. Merci à vous,
amis de réveiller en
moi ce malaise.
Mercredi 3
Exactement à sept heures
commencent à chanter
ces oiseaux de janvier
et de hameau. Un coq
s'évertue. Le chien gentil
a salué ma
sortie matinale et
utilitaire dans la ruelle.
Il accompagne aussi les
premiers travailleurs qui
quittent leur maison. Le
moteur du frigidaire a
sa propre poésie !
La crête rosit la forêt brunie.
Vendredi 5
Qu'interrogè-je de la
terre ? Les regards
des humains qui la
foulent, la sentent, la
mangent et la boivent ?
De fait je ne
les interroge pas, sauf
globalement, et je me lais-
se séduire, le temps d'un
regard, le temps de mon
regard et de mon souvenir.
Je n'interroge que lorsque
m'accompagnent
les possesseurs de ces regards.
Samedi 6
Ensuite de la première
impression envahissante
si le cligne de l'il,
plisse les yeux, pour
mieux voir, et même
pour prendre,
je ne poursuis pas
ma quête, parce que
c'est trop joli
seulement, il y a là
trop de mer bleue, de
ciel bleu. Et
vraiment je n'ai
pas la disponibilité.
Dimanche 7
Il n'y a bien que les objets arrachés, à la misère humaine, dans
les brocantes et antiquaires, des restes, des morceaux des
ventes, des rejets, des séparations, des morts, des destructions,
des poussières, des abandons.
Vendredi 12
Quelques heures m'ont
laissé seul sur la route
de campagne étrangère
et moi, également étranger,
j'ai traduit des mots
que la promenade
disciplinaire me
procurait. Cyprès
olivier et oliveraies,
barrières et pieux,
bruissements, murmures,
pépiements, ronces et
parasites, vignes
et ruisseaux et ruissellement.
Dimanche 14
Sbarbaro et d'Annunzio -dans ce que je lis d'eux précisément, et
non par eux en entier dont je ne connais rien- me rappelleront-ils
ces quelques points sur lesquels il m'est nécessaire de
porter l'attention, et d'apporter le geste d'une syntaxe ?
Lundi 15
Cette chance des multiples
chemins, là et ailleurs.
Parcourir tous ceux, là
à l'entour ; pas forcément
exhaustivement ! Et
partir ailleurs,
plus loin ou plus loin
encore plus plus loin. Il
n'y a pas de raison que
cela s'arrête. Et quoi ?
Et puis quoi ? Ah tant de
causes et de disputes
que certains hommes
portent en écrits dans
des journaux quotidiens !
Mercredi 17
On a fait s'écouler un
bon mois rythmé avant
la visite des amis. Il
fallait mériter le
nouveau lieu, en
être les habitants.
Alors on peut nous
rencontrer comme
de vrais étrangers, et
nous, recevoir avec
notre nouvelle culture
mâtinée de notre
vieille carcasse
déjà bien dessinée.
Jeudi 18
Refusant de rebrousser
chemin, le mien qui bute
en disparaissant se
poursuit dans le griffement
des branches, le dénivellement
des roches, les
cours des habitants HLM
et entre les hommes
des périphéries. Souvent,
je ne suis rentré chez moi
que lorsque la nuit déjà
était tombée.
Vendredi 19
Le paysage de la fenêtre,
le monde de la fenêtre,
le contour de la fenêtre,
loin de la fenêtre. S'approcher
et poser son front sur le
froid de la fenêtre.
Le monde se précise, un
point de vue est permis,
il y a alors des hommes
possibles, et leurs mouvements.
La vie existe.
Au moindre bruit, à
l'affût d'une
surprise.
Dimanche 21
La nature me rend encore plus matérialiste : nous nous occupons,
afin de remplir nos vies, attendant les heures, elles mêmes fixées
d'occupations jusqu'à l'heure finale. Matérialiste parce que
je le sais et que cela ne me rend pas triste.
Lundi 22
Je veux la ramener à
peu de chose, la vie. Je ne
veux pas qu'elle prétende
être plus, qu'elle cherche de la
gratitude, et à être fêtée.
Elle est là, elle est
là, oui on le sait, et
alors ? ! De temps en
temps lui rabattre le
caquet, et pendant
qu'on la parcourt.
Mercredi 24
Nous avons été voir ce qu'il y
a derrière les monts
qui se jettent dans la
mer. J'ai décidé les
autres à aller voir, et ils
m'ont accompagné.
Et bien sûr ils n'ont pas
regretté. Ils se sont étonnés
de combien c'est différent,
là derrière, là après.
Qu'y a-t-il d'autre que
la déclinaison des
possibles à chaque
seconde ?
Mercredi 3
On peut transformer le
frigidaire en un instru-
ment à musique. Toute
la jeunesse, et son corps
doux et sans ride, me sont
une grande caresse
sans aucune nostalgie.
Pendant qu'à côté
meurt doucement mais
sûrement et n'en pense pas
moins, la mère, celle
qui met au monde la
continuité du monde.
Elle n'a aucune aigreur.
Jeudi 4
Des voix de gorge. Entrée
en trombe de jeunes voix
à la reconnaissance, sur
le quai, par la fenêtre du
wagon, des amis. Tant pis
pour la tranquillité ?
Tant mieux. La Stampa
l'un -le seul mâle des
cinq jeunes- donne
à l'autre la partie
Tutti libri du journal.
Ciao ! Ciao ! Arrivent
encore trois autres
voix de gorge !
Samedi 6
Les poèmes, la vallée de
l'Albarine blessée de
tout temps sous la
blancheur du ciel, la
tombée de la neige et sa
vaste fourrure.
Le train ne m'a pas arrêté
pour patauger un sillon
de boue, embuer les verres
de mes yeux dans un
café humide et pauvre
et satisfaire et le
maintenant et
la mémoire.
Dimanche 7
Tous ceux qui m'accompagnent, et aussi
ceux qui ne le savent pas, que je croise, que
je lis, et dont je lis ce qu'on écrit d'eux. Et ceux
de ce dimanche amenés par d'incessantes voitures
jusqu'au hameau, si improbables que chaque fois
je me lève pour les voir par-dessus le
muret de la terrasse.
Lundi 8
Le temps des fleurs aux
arbres. Elles viennent
pendant la nuit, après le
détour des yeux, au
retour des voyages. Elles
n'ont prévenu
personne qui n'aurait de
savoir. J'aime ce savoir
qui laisse s'étonner
d'une souveraineté des
choses probables. Ça
doit venir et ça
surprend encore. Ah !
Je suis encore vivant !
Vendredi 12
Ces jours étranges pen-
dant lesquels la pensée
ne parvient pas à s'éclai-
rer, le corps à exulter,
comme ces jours écrasés
par un ciel
rempli d'eau. La peur
que plus rien n'arrive,
le stylo en panne au-
dessus de la lettre pour
les amis, le questionne-
ment de l'être là toujours
prêt à revenir. La terre,
elle, n'était pourtant que
mille oiseaux prodigues.
Dimanche 14
Mon sourire provoque les nouveaux regards et
les nouvelles paroles. La femme au tchador dans la
ruelle de Genova aussi m'a dit bonsoir et je
lui ai donné le mien, heureux ; elle aussi semblait
heureuse. Et sur le quai de la gare les jeunes gens déjà
dans le train et que j'ai photographiés.
Mercredi 17
De la tendresse pour
certains hommes. Je
voudrais le leur dire,
mais comment pour
ne pas les gêner ? Mais
faut-il dire ? Le
dis-je aux oiseaux ?
Cet homme là prépare
sa bande de terre. Il
semble comme un
enfant qui se met à
l'écart pour être tranquille
et fabrique sa
solitude, et passe sa vie.
Jeudi 18
Mais oui, le garçon de café, ou le propriétaire, peut blaguer, à la commande ou au moment de payer, et cela offre un de ces instants chers, chaleureux, qu' | on voudrait voir durer. Nous nous levons, gais, la journée est belle, et la vie ! Dispenseurs de ces mêmes sourires et aimables mots, nous souhaitons que tous nos amis connaissent ce lieu. |
Très vite nous n'existons plus lorsque nous nous sommes retirés du micro- cosme microscopique du monde. J'avais pu percevoir déjà que dans le microcosme | nous ne sommes perçus que de côté incomplet. Chacun écrit une histoire. Et l'histoire se poursuit avec vous mais sans vous. Nous le savions nous le vivons, nous qui n'avons jamais rien demandé. |
Tout dépend de l'urgence y compris celle d' écrire l'oiseau, celui qui accompagne votre essentielle et nécessaire solitude. Sa présence | et son chant éclairent la journée et redressent le corps, comme il marche aussi à votre silence lourd sur vos épaules. |
Approcher les va-et-vient, les horaires, les voix, des gestes, et se saluer. Echanges des présents. Mais nous ne sommes pas encore attablés ensemble. Des âmes | qu'on n'a pas encore vues. Des êtres qu'on souhaite apparaissent, de dos d'abord et dans la nuit, et qu'une saison nouvelle dévoile. |
Il y a toujours un coin inexploré qu'on a inventé être le lieu de révélations et où finalement nous ne sommes pas allés. Cela persuade que c' était bien là que nous | aurions été accueillis et qu'il se serait passé quelque chose, et de nouveau. C'est encore là-bas. Cela existera toute notre vie pensante. |
Vendredi 26
On surprend réellement
lorsqu'on exprime qu'on
ne veut pas du ciel bleu
et de sa mer, et quelle
chance il nous est donnée
que depuis hier
il pleut. Tout est qui s'
efface, nouveaux bruits
l'eau des chenaux,
la pluie sur les champs
et dans les arbres, les
voix plus urgentes. Je
parlais aussi des yeux
mouillés et des verres des
lunettes.
Samedi 27
Aller plus près pour plus près du visage qui a son parcours régulier peut être lui faire savoir qu'on la regarde. Des visages imperturbables sentent | ils les regards et comment ? Il y en a qui réservent le secret. |
La mort longue à emporter la mère qui la désire tant maintenant. Quelles images la hantent, sûre- ment si nombreuses ? Précipité de mémoire. Je vais maintenant | affiner les questions pendantes avec lesquelles je vis sans les avoir posées jamais. C'est bien encore la famille qui exige le plus de l'homme qui peut s'exonérer du reste. |
Il ne faut pas fixer le jour, car le jour ne sera pas forcément d'accord, et nous content de lui (ou non) en changeons la destination. Aussi | la plus grande disponi- bilité est requise de savoir nous arrêter à tout moment lorsque le jour choisit son propre apparat et qui nous plaira. |
Et oui nous sommes en guerre, et oui il faut éradiquer cette engeance humaine qui tue et assassine. Une paix reviendra, et que deviendrons ceux qui, | ayant échappés à la mort, faisaient anony- mement partie des milices et des tueurs ? Il en est chez nous qui rejettent cette intervention. |
Je ne sais pas si les gens sont heureux ou ont été heureux. Je ne peux me permettre de le dire. | Comment va-t-il, comment va-t-elle, sont des questions, parfois posées avec gentillesse, mais indiscrètes autant qu'une réponse. Je ne sais pas. |
Les amis se déclarent. Ils peuvent ou ne peuvent pas. A notre tour nous pouvons ou ne pouvons pas. Et sûrement, à leurs yeux nous nous déclarons. | Je l'espère. Ceux qui ne peuvent maintenant pourront plus tard, une autre fois. Je l'espère. Ceux qui peuvent arrivent. Nous les attendons. |
Les livres me donnent l' arrivée du Rhin dans le Pô, et le cycle de l'eau. Ils vérifient l'eau boueuse de février de l'Arno dans mes deux clichés photogra- | phiques. L'homme et le construit n'a pas à y être. Même malgré les canalisations et les soi-disantes maîtrise des cours. |
Je surveille l'ailleurs. Je suis comblé, et je regarde encore, et je veux aller encore, j' attends encore. La chance me fait révéler à mes | parcours quotidiens êtres et choses, visages et formes. Commen- cement non pas du pourquoi mais du qu'est-ce ? Qui ainsi me font être vivant. |
Attente des amis. Préparation aux amis. Attention aux amis. Nous faisons leur lit. Nous choisissons les premiers repas. Nous évaluons leur voyage. Voyons, où | ont-ils dormi hier soir, et à cette heure là du matin se sont ils mis en route ? Nous les voyons sur le chemin que nous connaissons arriver jusqu'à nous. |
C'est un vrai plaisir d' avoir à exercer sa langue propre dans les langues étrangères. Plus savamment il faut s'équiper de meilleurs dictionnaires. Ecrire à Alberto, puis à Ciaràn, | puis à Vlado, puis à Ewa. Et l'espagnol, et l'allemand. Serait possible. Le luxe du temps. A la fois il passe si vite, à la fois nous en avons de plus en plus. |
Cela me fascine ce train qui traverse la terre, l'espace, et le temps chargé d'humains. Voix, à voix basses, ou fortes. La gorge comme l'attitude sont | diverses. Qu'est-ce qu'une voix étrangère, voilà que vraiment je ne le sais plus adminis- trativement. Humai- nement nous sommes chacun l'étranger, et j'espère étranger ! |
Aller et retour si rapide. Mais la chère habitude d'ailleurs. Les gares, leur quai -leur environ- nement- les heures. Les pays, les paysages l'attente de ce qu'on | sait venir, d'un point, d'une ville, d'un trait. Aux deux lieux, de l' allée et du retour, c'est comme avant de les avoir quitté ce temps. |
Bien sûr que nous voyons de la lumière là où d'autres non. Je lui ai dit : vous voyez, grâce à ce temps là vous aurez vu la mer et les monts en | neige ensemble. Il ne fait aucun doute que dans ce ciel couvert la luminosité fait cligner les yeux et essayer la terrasse. |
Quelque fois manquent à l'appel des habitudes des jours quelqu'un. Si c'est un cheminement, un temps, et un espace cela constitue un vide, cette absence. | Cela précipite le temps car c'est un nombre d'heures qu'il faut pour que revienne l'heure de la présence habituelle. |
Un vert si profond des verts de printemps sous la pluie et le ciel bas. Des sons d'eau dans les chenaux en torrent, sur les bandes de terre retournée il y a peu. | Une masse verte voilée noire lorsque c'est plus loin. Les oiseaux sifflent dedans. Les hommes respectent quand même le rythme de leur rite quotidien. |
Le moment où on se courbe, et mécontent, un grand vent, violent, et bruyant, touché par la bêtise et parfois obligée bêtise sociale conventionnelle | de la bourgeoisie qui exerce encore son pouvoir, soi même, ou l'amie qui écrit sa rage qui découvre un mal de vivre qui la touche trop longtemps. |
Sortir, dehors, à l'air, bande verte et bande grise, entre oiseaux et moteur de scooter, pour l'exercice de la note du jour le long des lignes des heures | du vendredi 30 de la 17ème semaine 26 avril au 2 mai de l'agenda NRF ; 36ème ? 37ème jour de guerre ? L'assassin ne faiblit pas. Et nous ? Et moi ? |
L'ailleurs nous permet de ne pas être le même. Et même si le passé toujours, et l'innombrable, ne l'imaginent même pas, qui de temps en temps nous rattrapent, | et parviennent même à nous blesser. D'autres sons, d'autres voix, d'autres langues d'autres façons, d'autres odeurs, d'autres anatomies, d'autres couleurs, d'autres goûts, alors que nous sommes ainsi toujours vivants. |
Nous avons ce sentiment de grand jour et de vouloir l'écrire, le hameau là-bas sur le flanc de la colline à travers l'air et dans le grand vent, | dans la forêt du printemps, un lointain en tête, un camion de campagne qui vient et s'arrête, un soleil voilé qui s'est levé à l'est et frappe le mur. |
J'allais oublié la note du jour, et l'inscrit alors la nuit tombée, fin du jour mouillé entre lecture : avis de chacun sur la guerre, lettres, poésie. | Le noir des monts s'enchâssent dans le gris du ciel. Je crois que j'attends déjà demain. Mais il me faut aussi respirer. |
Nous oublierons vite ce que nous avons connu, le savoir des noms, s'il reste la mémoire, à l'abri, à la discipline de cesser l'impertinence d'être au courant, du | recul, et nous ne connaîtrions, sans plus question de mémoire ni d'oubli, ce qui se fait ce qui se fera. Ah ! Grand éclat de rire au nez ébahi des assoiffés d'être. |
Douceurs d'envois du fils. Nous pensons aux gestes préparatoires de rassemble- ment des matériaux qui seront joints dans l'enveloppe, et aux jours et aux | heures consacrés et ainsi passés avec nous. Et tout cela voyage entre mains et moyens de transport jusqu'aux nôtres, avides, tremblantes, découvreuses. |
Au matin des lettres aux amis, pour leur dire Ah ! oui nous existons, et vous ! Je leur dirai, en ce qui concerne la guerre, que c'en est le Nème jour, | aujourd'hui, précisément la 44ème nuit. Et puis aussi l'heure qu'il est à laquelle, matinale, je leur écris et la transformation des jours, et que je ne savais pas ainsi. |
Etrange mais très accepté voile gris dans le paysage vert du printemps. Qui éclaire derrière ? Qui joue, ou répète, ou manigance, là derrière, et croit qu'il | n'y a personne dans la salle qui porterait attention au-delà de la terrasse, et n' entendrait rien, et sans question d'une poétique possible ? |
La répétition des jours, oui c'est vrai, mais à chaque fois le matin ouvert lorsqu'on a su les défaire du toujours même qui ordinairement les | constitue. Dès les premières heures cela dépend de nous, de l'oiseau, de la terre et son climat, des hommes, des acci- dents, de la chance. |
Va-t-on comprendre définitivement que tout ce qu'on nous dit n'est que point de vue, comme tout ce que nous disons à propos de ? Seul véritable vécu, le nôtre | partagé. Déjà s'il s'agit d'en parler chacun, de ce bon moment, les raisons du bon seront diverses. Non, vivons-le. Mais que serait le monde bouche cousue ? |
Quand l'eau en brouillard cache tout ce qu'on vit et connaît mainte- nant parfaitement. Où est-ce ? Cela se déplace, s'effiloche, laisse des traînées, | comme des fumées de feux ça et là aux creux et aux hanches, et des cloches d'églises qui disent ici bien plus que l'heure. |
Le p'tit gars a sonné à la porte. Il est bien costumé. C'est son jour. Il apporte quelques dragées dans un joli tissu enrubanné. Nous essayons de nous dire quelques mots, | mais vraiment je n'arrive pas à lui dire quelque chose dans sa langue. Mais nous savons nous séparer heureux, lui d'avoir donné, moi d'avoir reçu. |
Comme quelque chose de nouveau se prépare, pas mécontent de la fin, non, mais heureux de perspectives. Passer à autre chose, je crois, m'est donné. | Alors la fin s'éclaire, s'égaie. Collection de "Ce qui fut" ! Qu'on revisitera. On passe à autre chose ! Du papier et des cendres. Tant pis pour ceux qui géreront le papier, les cendres se seront envolées ! |
Quelle force cette lenteur volontaire alors qu'on sait les dates de prochains intérêts ! Je tire sur le mors que je sens au coin de mes lèvres ! Je vais | m'attabler à la terrasse auprès des oiseaux, au-dessus des premiers bruits de l'affairement des hommes, après les lettres longues dans les heures. |
Le même oiseau chaque matin est au plus haut du rameau qui achève le sapin, le même moi chaque matin l'entend siffler et va le voir. L'un et l'autre | cesseront un jour, lui de se rendre à cette cime, moi sur la terrasse du hameau. Lui et moi avons encore tant à vivre que nous savons partir. |
Laisser pour demain, laisser son tour aux choses. C'est moi qui gère les tours. Je suis parfois tenté d'avancer un tour. J'arrive assez bien à résister. | Que ferai-je demain si j'avance son tour ? Garder pour demain ! Demain c'est, par exemple le tour d'un tel. Et un tel ne le sait pas, là-bas ! |
Une fenêtre ailleurs, les oiseaux des villes ont leur sifflement, le soleil éclaire la tête des choses, et doucement dans le matin très tôt, | le bruit du boulevard, et des gestes de l' approvisionnement du jour. Je connais ça parfaitement, ô solitude exquise, ô solitude forte et belle. |
Allons, allons ! Il y a des savoirs inutiles, humons plutôt l'air, l'odeur de la ville et des hommes, emplissons nos yeux et nos émotions | les heures nombreuses. Que ferons-nous des savoirs futiles le nez penché sur des vulgates dans les tombes où nous pourrirons ?! |
Tutti è regolare ? Nous prenons soin de vérifier le mot essentiel de la situation à fin de nous en tirer sans cérémonie, prendre la porte et | nous retrouver dans la rue, libre, comme l'air, choix infini d'aller. |
Nous nous souvenons d' avoir emmené ailleurs des amis et nous disons que c'est un de nos plus grand bonheur, lorsque nous les revoyons dans des paysages et des | scènes. Nous poursuivons d'attendre nos amis, et dans la fièvre de préparation. Aujourd'hui posions à leur chevet d'Annunzio, Mallarmé et Zeri. |
Tout est timide, dans le matin, ah ! si tout pouvait rester ainsi timide comme l'est le matin, ah ! si l'homme restait caressant le | début du jour, tâtonnant, les yeux encore embués, la voix encore basse. Mais il veut si vite se venger de son angoisse. |
Qu'est-ce qui va encore me surprendre ce jour à vivre ou à espérer, vu ou rêvé ? Savons- nous assez le mot magique de la photographie, la | révélation. De la matière. Et bien aujourd'hui nous nous rappellerons, grâce à la chimie, quels furent nos gestes et visions d'hier. |
L'imprévisible lune, haute et au sud, en partie mangée, une portion de ciel et de terre, qu'est-ce qu'un ciel ? Une partie du toit rouge du | voisin, qu'est-ce que je vois en entier ? La terrasse, mon corps, mes mains, mon stylo, pas encore l'ensemble de la note en cours avant son point. |
Aller au jour pour essayer la première parole, aller dehors la chercher et la quérir. C'est alors, constatons-le, une question : quelle | sera ma première parole ? Nous ne nous apercevons pas d'une réponse, nous aurons parlé, ou écrit une phrase. |
Aller là-bas, un peu plus loin, dans le cercle et les ondes du voyage depuis le centre de la pierre jetée dans l'eau du lac. Mais revenir, retourner, je | n'aime guère. Quel cas fais-je des autres voyageurs ? Parfois dédain, parfois séduction. Le train parfois vide le train parfois plein. Pour Rome, toute langue. |
L'ami artiste a été juste dans mon geste. Et il ne lui a pas fallu beaucoup de place, exactement son corps, pas de gesticulation mais la stature, | de discours que le poème enregistré de l'autre, et l' effacement de ce qu'on croit être l'homme par la couverture de son visage, et de la signature. |
Dehors, le souffle bruyant du vent n'impressionne plus. Un homme que je connais promène ses chiens. Sa démarche dit son bonheur de sa solitude, alors | que les feuilles sont bouleversées. Nous sommes quelques-uns à aller dans les matins. Nos bruits sont doux, nos gestes affectueux, notre détermi- nation discrète. |
Une hâte à envoyer les derniers messages d'un là qu'on va quitter bientôt. Je freine, je freine, et les heures restent des heures, mais elles paraissent | sprinter pour une fin de course ! Et des enfants ne vont plus à l'école, le bus scolaire ne klaxonnera plus du flanc des monts à la vallée. Est-ce là qu'on peut dire que quelque chose meurt ? |
Retour, rentrée. A l'école ? Au bureau ? Où est l'avant ? Qu'est devenu seulement hier ? Et quoi de mes matins, de la terrasse, des oiseaux, de la famille | du hameau à laquelle je me référais, heures, gestes, affection, douceur et fermeté, quoi de cet horizon, la vallée et la mer ? Comment abandonne-t-on ainsi l'avant ? |
Je leur demande comment est le soleil et leur épaule et leur gorge nue, et à chaque printemps lorsque la clémence | libère et fait se découvrir, M. se découvre lentement et peu. Je ne sais si je les trouble, ma question est si pudique et je ne sais quelle en est leur lecture. |
Bien sûr que j'ai le temps de rencontrer ces amis qui m'accordent un tel crédit. Et depuis ce temps passé, ce put être un nombre de fois. Mais je suis | devant eux, de loin, si petit que je diffère des rendez-vous, ou les manque, par tout prétexte, lorsque j'ai osé, avec chaleur, les prendre. |
Une carte postale où il y a quatre lignes de fuite : la mer très bleue, bordée des écumes de ses vagues là où elle s'échoue, la plage de sable mouillée peut-être | matinale, les herbes sauvages jaunies et humides, et le chemin ensablé tracé de pas et d'automobiles. Les lignes sont vides et tentantes. |
Et ailleurs la terre ne chante plus le matin. Il n'y a plus de terre. Ce chant solitaire d'oiseau monte dans la cour de ciment, pierres et tuiles. Et | cependant me parle me fait lever la tête, et sourire à nouveau, sentir avec tendresse. Ce solitaire modifie soudain la suite de mon jour. |
J'attends. Je ne sais quoi. J'accumule. N'est-ce pas assez ? Aller encore ? Faire encore ? Voir encore ? Gagner du temps. Cela me paraît long. | Et puis : non je n'ai pas vu, non je n'ai pas lu, non je n'ai pas été. Ah ! qu'ils sont boulimiques. Je n'ai plus rien à attendre que le quotidien chaque jour. |
Nos amis ont des gueules ! Comme au cinéma, comme dans les plus grands des films. Quelle belle mise en scène les meut, les habille | les grime, met dans leur bouche leurs paroles qui façonnent leur visage et la posture de leur corps ! |
Le nouveau bruit va-t-il m'émouvoir qui monte permanent du bas de la cour et semble s'y couler et l'emplir ? Et le strident gazouillis d'un | oiseau, le même, il fait écho renvoyé par les murs rapprochés ? Peut-être. Turbine de fond de cale d'un cargo en traverse ? |
Je me dégrade : la jambe qui se détache, la prothèse dentaire et qui fout le camp dans une datte africaine ! Je me dégrade : je | n'accorde plus aucun crédit à l'homme et soupçonne de la bêtise sous les boucles des longues chevelures de jeunes filles. |
J'attends plus tranquillement La mesure est en mois. Pour ranger, corriger, écrire, organiser. Je remplis les jours de l'inhabituel, | des amitiés en retard, des voyages, des visites. Je suis la liste faite là-bas en même temps que j'improvise. Quelques fois je pèse lourd. |
Aussi l'expérience du vieillir : des maux dans le corps, un qui handicape, même momentanément, un douloureux. Espéré passager. Des | expériences ont leur moment, ne peuvent être faites plus tôt, les imaginer et les dire était possible mais bien incomplètement. Les entendre aussi. |
Le matin au lac, les oiseaux. Des branches se baissent dans l'eau. Les poules d'eau de l'enfance retrouvées. Le croassement des corneilles. Quelques | feuilles jaunies font croire que le soleil a déjà passé la montagne. Pourtant la carrière est toujours grise. |
Elle dit : c'est bon de revenir chez soi et je ne connais pas sa pensée avant le son de cette parole. Je lui dis oui à ce moment | très paisible quand une lumière très claire illuminait encore la pièce et les lectures. |
La famille africaine nourrit les pigeons de la rue sur son balcon. Les bords extérieurs des fenêtres, non fleuris, sont blancs de leurs excréments. | Ils volent, volettent d'un immeuble à un autre, au-dessus de la rue, en bruits d'ailes. Je ne vois pas les autres oiseaux ceux qui sifflent de façon si stridente. |
Nous avons dansé toute la nuit au bal des pompiers. Les lampadaires éclairaient et doraient la pluie. Les musiciens ne se sont pas arrêtés. Les miss | faisaient valser leur chevelure. Les hommes les plus beaux étaient les pompiers des feux. Le champagne coulait autant que la pluie. |
Mais sans cesse ailleurs, qu'est-ce ? L'été, le temps de rendre aux amis l'amitié qu'ils nous donnent d'exister. Nous savons l' autre temps et | quand. Nous lui faisons confiance. D'autres temps encore, et leurs lieux, par exemple un canal, et leurs êtres, par exemple une enfant qui a dû devenir une femme. |
Le peintre parle : de l' écriture poétique à celle encore du signe, il parvient maintenant à la peinture. Et il se sent bien. Et il | se sent glisser, très tranquillement, dit-il, sans aucun geste pour se retenir. J'avais un peu d' inquiétude dans l'atelier, à regarder. |
S'approcher de la fenêtre et être presque dehors où le vent entrechoque les feuilles larges et vertes très foncées de la vigne vierge fournie, mouillée. Un côté de | la terre roucoule, très nombreuse. Le tilleul est magnifique et niche des oiseaux inconnus. Si nous parlions hier, ce sont eux ce matin qui ont de l'urgence. |
Et si vite nous sommes loin, et d'un temps si plein ! Et quand on sait que nous serons encore, ici, et ailleurs, tout à l'heure, et | demain, et pour des mois encore ! Et maintenant ! Nous pouvons être comblés. De mêmes paroles parfois nous semblent immenses ! |
Une face d'une cheminée, seulement, retient la lumière du soleil. Il est donc levé. Sur les briques rouges. Cela donne de la chaleur | au jour, à la pensée, au moment. Il faut porter son regard au-delà des fenêtres. Hier je regardais la nuque d'une femme. |
Je suis prêt. Mon bagage est fait. J'attendrais cependant l' heure ! Attendre ailleurs me plaît bien, à des | heures non décidées. Inconfortables, autres, prometteuses (puisque) inconnues. Pendant ce temps d'autres choses se mettent en place. |
Il est trop tôt pour aller dehors, les humains sont encore dans leur tanière, il n'est pas encore l'heure d'aller chasser pour se nourrir, ni pour | son acte bien à lui, dépenser. Je dois attendre pour m'immerger dans tous ces visages qui me font parfois me retourner. |
La femme est de dos, elle porte un sac jaune en bandoulière. La photographie serait titrée Le sac jaune alors que la femme serait bien en plan entier et | dans le paysage urbain. Il s'agit que le jaune soit bien à sa place et primordial. La femme prenait elle-même une photographie. |
Préparer le voyage, au forceps. Se rendre est toujours contre nature et violent. J'en sais la récompense, mais avant et jusque après les premières | embrassades ou serrements de mains j'espère des annulations ! Et je reste peu. Le temps court, déterminé me rassure. Qui croirait ? |
Nous eûmes un parcours tranquille et serein dans la ville en direction d'un lieu de mémoire, peut-être comme accomplissant un | devoir et fier et heureux pour nous- même de l'avoir accompli. Nous en revinrent même grands, les marches longues sans fatigue. |
Un ami me livre -comme je ne sais pas me livrer- sa nostalgie de l'adolescente et je lui offre la photographie d'un visage en marbre recueilli | au Campo Santo de Pise. Je me souviens de mon hésitation, de ma tergiversation, et d'être revenu sur mes pas, difficulté à me livrer à moi-même. |
Remarquables les fenêtres ouvertes de l'été ! Grandes ouvertes ! A l'aube alors on se laisse aller sans plus de crainte ?! Silence, tout est | ouvert et on dort ?! Ah ! Mais la journée on ne court guère aux fenêtres, et on ne se salue pas, on recule vite. Quel dommage ! |
Un déplacement ne se fait pas sans heurt, et ce n'est pas que la masse d'air qui nous freine ! Nous avons à parler et les mêmes langues | ne sont pas les mêmes et il faut jongler et traduire la même langue pour parler éventuellement de la même chose. |
Est-ce plus d'exigence qui fait que nous pouvons être déçus plusieurs fois de la défection des amis déjà tard dans la vie ? Accumulés | dans maintenant le grand nombre des années nous mettons-nous à l'abri de l'hospitalité que nous offrions ? Nous nous garderions plus ? Je questionne nous, pour l'attention. |
Ah des mouettes encore et l'enseigne Le Joli Port ! Le matin m'offre des plans successifs d'immeubles modernes de pierres de taille. L'avancée | de la nuit, les familles en promenades et assises aux bancs face à l'anse, les enfants insouciants aux bords des jetées et de l'eau. |
Le SNCM Méditerranée glisse sans aucun bruit de moteur horizontalement partagé en noir et blanc sur une eau verte | rosée réfraction des nuages rosis eux- mêmes par un soleil d'est lointainement quelque part levé. Bien sûr le SNCM Méditerranée a disparu le temps de la phrase. |
Parler des vanités des nombreux que nous côtoyons et connaissons et avec qui même nous avons à commercer un peu tant ils se sont mis à la tête | de professions qui nous concernent dans l'art, nous occupe encore trop ! Heureusement nous sommes de ceux qui faisons sans eux ! |
C'est vrai le ciel s'assom- brit, la lumière est moins crue, les terriens lèvent leurs yeux et sont gais. J'ai des souvenirs et du présent plein le | cur. Embrasser tout cela dans cette fidélité. Les envois des fils ténus, et la surprise de l'apparition au coin de la rue. Pour Ewa, Agnès et Virginie, aujourd'hui. |
La lumière de froid. a diminué d'intensité, la température aussi ce qui m'a paru le plus préhensible, comme l'arrêt des hommes. Coup | Je me suis enfermé, j'ai constaté que tout est revenu à sa place. j'ai dormi. J' attends mes courtes heures de solitude. |
Ne pas se faire d'illu- sion, après l'arrêt sur l'image le film est reparti : rien n'a changé. Oh ! Des rues l'été ont un visage de gaîté, de | simplicité, même les adultes semblent adolescents, l'arro- gance est sur les routes à se faire des queues de poisson. Si elle pouvait rester sur les plages remplies ! |
Aux mêmes heures, à la minute près, les mêmes gestes, je les sais aux bruits, je ne les vois pas, aux mêmes heures chaque jour. Les mêmes gestes | chaque jour, par millions, que nous n'entendons pas, plus loin, aux mêmes heures. |
8 h. Je prépare le petit déjeuner et nous déjeunons. 10 h. Je suis dans la rue et depuis 9 h - 9 h et demi 12 h. Je suis rentré vers onze heures. Nous préparons le déjeuner M et | moi -Il tonne- Orage -Enfin de la subversion au joli temps. Il manque à l'agenda les heures avant 8 heures. |
Oh l'enfant déjà veut et ne veut pas, aime ou n'aime pas. Jusqu' au moment où il essaye ce qu'il n'aime pas. Provoquer un geste. Lui laisser, | invité, sur sa table, du papier, un bloc, un crayon, une enveloppe, un timbre. Dans cette expérience-ci, l'enfant, une fille, s'adressa une enveloppe dessinée. |
La lointaine jeune amie envoie un pli presque chaque année. Elle annonce la naissance d'enfants. Des filles avec de très beaux prénoms. La | jeune amie a dû grandir avec ces années qui nous séparent autant que les kilomètres et la vie. Comment son visage ? |
Oui c'est bien cela tu ne décolères pas de cette sorte d'antre où tu as dû revenir, bruyante imbécile- ment, intérieure décidément. Il | faudrait qu'un hiver vienne assombrir et assourdir, froid et blanc, que l'antre soit un cocon. Allez ! décolère ! |
Elle a dit from América, mais quelle Amérique ? Nord. Sud ? Canada, latine, Amérique du Sud ? Hypocrite, que je suis, l'impor- | tant n'est-il pas que la jeune femme de la fenêtre m'ait salué dans la rue et que nous ayons parlé ?! |
Il y a sur cette façade bourgeoise de l'immeuble un seul appartement, avec balcon, dont les vitres sont sales, et celles cassées | non réparées depuis. De mauvais cartons ne reflètent rien et sans doute, laissent passer le froid. |
Ce qui survient, plus que ce qui est déjà. Ce qui surviendrait, alors que rien ne doit survenir. Continuer, de révéler le là ? Mais ça survient sans cesse | à celui qui regarde. Que faire de ce qui survient et est indélébile ? |
8 Déjeuner avec elle 9 et dormir encore un peu. 10 Dans la rue, et de la rue au magasin bal et déplacement pour regards. Petite sieste | prédite jusqu'à 15 h. 16 Visite d'inconnu 17 deuxième, annoncée 18 troisième, aussi et fait retrouver la débile habitude de la télévision. |
8 h. 9 h. La carte postale à Patrick Rousseau, rencontre de Roger Dextre sur la place aux chevaux. Ils lirent le même | soir, avec Jean-Claude Montel, en 1984. Lars Fredrikson et autour de Gaston Planet. Humains de 5 h 20. La ville ne flâne presque plus. |
8 h. 9 h. 10 h. Lundi matin, au Café Pomme de pin, nombre de jeunes gens tiennent les journaux aux pages | des annonces. Là, locations. Quelques photographies à un lieu d'été habituel. Une carte-photo à Siegfried : Piwna, N° 13, à Varsovie, en 1984. |
8 h. 9 h. 10 h. 11 h. Finalement ne pas être satisfait de la décision, et n'avoir su s' arrêter là où souhaité, | être revenu au lieu d'habitude actuelle. Mais une jeune femme y écrit, rageusement, et il y a une brise sous le soleil, et de la gaieté bruyante. |
Quelques fois la rue est très silencieuse et le geste de l'homme va d'un bruit sourd. La fenêtre a sa lumière comme rarement | dans la nuit et les rideaux, ramenés l'un et l'autre à la paterre centrale. le changement de vie dans la vie ? |
Un couple d'irlandais brûle leur corps au soleil de l'Istrie depuis 20 ans et ne parle pas un mot de la langue de leur ailleurs. | depuis vingt ans chaque soir ils boivent leur café chez le glacier albanais et apprennent leur langue à ses filles venues l'été de Macédoine et d'Albanie. |
Le glacier albanais et sa famille préparent les tables déjà à 6 h. La main de la mère , qui pose les cendriers et en un romaines qui deuxième tour les | les napperons. Les mains, le bas de la chemise, Le haut de la jupe, le tronc de la femme dessous le toit de tuiles descend bas et neuf. |
Oiseaux d'ailleurs. Et matins encore. Autre fenêtre où se pencher, et voir, scruter. Chercher. Il ne faudrait pas fermer la porte sur la terrasse | le soir, et laisser la nuit pénétrer nos paroles, et une ouverture au dehors des corps, échappée toujours possible, plus aisée, mentale. |
Mais tous ces lieux ! Peut-on dans tous y laisser une partie de soi, y goûter l'étrangeté et profondément, hôte étranger ? Parcellisation du corps, | corps parcellé, que lui reste-t-il donc au fur et à mesure de son déplacement ? Quand le corps se déplace et est tellement ouvert ! |
La syntaxe fuit, cache et ment. Ainsi le poème qui a peur. Et donc ce n'est pas le lieu des délivrances et récriminations ! Regardez, lisez comme il tente de frôler la | compréhension et l'énigme ! Il ne peut se résoudre au refoulement total mais parle au-delà. Et à ce que vous devriez vous avouer à votre tour et à vous faire lever les yeux. |
L'homme descend jusqu'au port, la route vide, il quitte la jetée pour le môle, tire sur la corde et les pieds nus saute | sur le pont de la barque, largue les amarres qu'il a détachées, s'aide du bord du voilier voisin, et le plus tard possible met en route un moteur discret |
Vu Karlovac criblé de balles. Elles ont mordu les crépis et ouvert la brique rouge. La toiture d'une nef unique crevée, | les ogives larges stoppées dans leur élan massif. Les hommes regardent bien le photographe, sans bouger, sans rien dire, sans altercation. |
Lieu d'image, et heure : un chemin de passage s'enfonce d'un côté dans un imposant saule pleureur, de l'autre dans un marronnier déjà feu et un barraque- | ment. Portion courte. Deux lampadaires élancent à leur sommet l'enveloppe blanche de verre, et les passants s'y croisent ou bien le chemin est vide. |
Au même lieu, sur ce chemin, les passants se protègent de parapluies. Ma plongée est en perspective, et je vois donc bien encore les têtes. Un bras est | levé, la main tient la poignée et dresse au-dessus d'elle l'abri. Bruit de l'eau sur les toits et des flaques. |
L'homme crie pour proposer les pommes et répète alors les mêmes deux sonorités de sa voix qui monte à travers les arbres hauts, et l'air | jusqu'aux fenêtres d'éventuels clients. Puis on ne l'entend plus, on peut le remarquer. Comme on remarque son premier appel. |
Un oiseau noir met beaucoup de temps dans son passage horizontal tout au long de la longue barre aux loggias qui se hisse derrière les | arbres du parc, et l'ensemble à contre jour d'un ciel clair voilé, bleu et matinal. |
On ne compte plus les mois de la conception de la peinture, qui se peint alors directement au mur et sera vue de quelques personnes, photographiée, et | et recouverte de blanc quelques jours après, disparaissant comme objet, et enfouie. |
Des choucas des tours, leurs cris et leur passage au-devant du brouillard. Légèreté noire sur l'uniformément gris. Impossibles à fixer, les corneilles | ne passèrent plus dans l'embrassant de la fenêtre. La lettre à Françoise. Elle n'est pas terminée. L'attente de l'enfant. L' accompagnement de la peinture. |
L'homme prostré. Je resterai des heures sur cette grande terrasse de café. Je verrai sur la place la chorégraphie des tramways, bal réglé sur leurs | rails, mouvements des directions est-ouest, courbe du dessin pour tourner au sud, vagues d'hommes, traversées de la grande place. Prostré, l'homme dont la pensée aussi s'envolera. |
On ne va tout de même pas décrire le ciel ! Sa ligne flamboyante dans les nuages noirs, et au-dessus sa ligne bleue ! L' immeuble de béton | fait heureusement barre en contre-jour ! Mais surtout, et entre il y a cette fine et longue ligne verte de néon. Puit ! Puit ! Puit ! Puit ! |
Il faut tenter de comprendre ces cargos isolés et visibles au large des côtes, plantés dans la mer, longs et lourds, de à peine. couleurs profondes, | brunes, rouge ocré, noire, et sous des cieux bleus ou gris et voilés, qui attendent, croisent Pourquoi m'émeuvent-ils ? |
Les voix des femmes qui se retrouvent avant d'aller ouvrir leur magasin, leurs rires, leur inconséquence qui, là, aujourd'hui, | me reposent, me réjouissent, me caressent, leurs sourires, leur bouche, leur apparat, leurs moqueries. |
Aujourd'hui rends visite le grand poète que je lisais il y a 25 ans et qu'Aragon rappelait dans l'Humanité du 2 juillet 1975. C'est le temps qui m' | émeut et m'intimide, et toujours aussi le crédit qu'on me donne. L'amitié s'accumule. Quelle vie ! Au courrier, paquet polonais et paquet belge ! |
En partant, perte de la voix qui murmure, le matin, et donne l'heure à travers le plancher de l'étage. La perte de ce qui n'appartient pas. | De ce qui ne savait pas et ne saura jamais si on ne dit rien. Et on ne dira rien. Ce sera un souvenir, de matins encore nuit. |
Quand les fenêtres sur la cour sont allumées c'est l'heure. La lampe du bureau lorsqu'il fait encore nuit. Quelque fois c'est la dernière | fois. Rarement mais cela arrive. Bruits sourds des bacs. Pré- caution qui étonne. Offre-t- on le silence à celui qui quitte ? |
Il n'y a pas de bruit, rien qui accompagne, qui fait se lever et courir à la fenêtre. Des gouttes d'eau tombent du robinet et disent la décrépitude | et le peu de pouvoir. Dans cet épais silence une lassitude, une hébétude, une désorientation. Mais trouver où passer le regard, vite. |
Comment sont les hommes, là où nous sommes venus vivre. Quelle folie d'avoir quitté une socialité déjà bien installée, et dans laquelle la vie | difficile avait trouvé son confort, ses us. Là ? On salue dans la rue. N'est-ce pas justement une de ces perditions dont je regrettais le manque dans la grande cité ? |
Sur la photographie, la douceur de la lumière vient à travers la fenêtre allumée un de ces matins de l' automne. J'ai emporté cette chaleur | qui déborde et se pose sur des façades et des chambranles dans la cour. Et je la place devant mes yeux et le souvenir. |
Chercher l'humain pour la photographie, parfois il faut aller loin. J'ai photographié les arbres de l'automne en noir et blanc et j'ai vécu par ma | traversée les mères et les enfants du dimanche. Et puis je suis rentré là d'où on ne voit plus rien des hommes. |
Etendre, étendre notre soi-même, être à tant d'endroits, à tant d'autres, sans oubli, et déjà, tellement déjà parce que nous avons | parcouru maintenant tant d'ans, aux visages purs neufs et vivants et plaisant qui donnent le sourire intérieur et secret de connivence avec soi-même. |
Traversée de la Liffey et du Royal Canal, reconnais- sance de l'accent, rapide visite amicale au pub Wellington avec une seule pinte, rappel des moissons blondes | ramenées en courte queue de cheval, de la gouaille des filles qui décident, hier, et tout d'un coup, là sur cette ligne à 7 h, une mouette rigole et s'en va. |
Le vent mais oui la mer n'est pas loin on pense au lever à ce qu'il va falloir dire à la bêtise à laquelle on se frotte à la réalisation | du don, du passage, de l'accompagnement, à l'indifférence, qui seule bien sûr saura nous laisser avec les uvres, et la peur que nous demandions encore. |
L'eau coulait coulait, à la même hauteur que la terre verte, parfois s'y étendant et faisant mares ou marais. Avec le déplacement | c'est plus tard le même jour et je comprends l'image superposée, par exemple d'un visage de jeune fille à l'écran dans le paysage. |
La lane toujours brute sur laquelle bute le fond des petits jardins, s'ouvrent les garages ou les mauvaises portes, dans laquelle sans doute l'isolement | permet de déposer les déchets, de pisser contre les murs, de blesser ou d'assas- siner, et abandonner la victime. Rose là-bas le ciel à l'est. |
Nous nous sommes dit : Et si tout cela était de la pure invention. J'ai immédiatement pensé que c'est ce que dit le révisionnisme, je | n'ai pas osé le prononcer. Mettre en scène le passé, le funéraire d'il y a 5 000 ans avant J.-C. Comme le camp de Auschwitz. |
On ne voit dans la rue que les femmes. Et les enfants. Où sont les hommes. Les hommes sont-ils ceux-là auprès des voitures, qui discutent et chassent ? | Au bord des routes comme des guerriers. Les hommes fuient toujours. Et vient de là leur arrogance et leurs meurtres. |
Pourquoi n'a-t-on, rien ? Pourquoi s'agrandit-on ? Pourquoi ce malaise, il est trop tard. Neuf et dans la chambre unique de l'amante on ne manquait de | rien. L'amante n'a toujours pas plus, et n'amasse pas, sinon dans sa tête, mémoire et connaissance. Ce n'est pas moins lourd, moins encombrant. Quant au malaise ? |
Rien ne bouge si on ne sort de notre cour. La chance se provoque, le corps doit aller. Découpe de la fenêtre, morceaux : pot de fleur, cyprès, mur de clôture, mur | de maison, ciel bouché ; morceaux dis-je ! Pas de vis-à- vis humain. Ah ! Je les cherche quand même, ce moment de beauté avant. |
Nous n'en avons pas fini avec notre liberté qu'il est impossible de maintenir haute en permanence malgré notre conscience ! Et nous ne devons nous en prendre qu'à nous | lorsque c'est d'une faiblesse ou d'un état imbécile de bien-être habillé de malaise bien sûr. Qu'est-ce aussi que la fuite et l'écart et la dépense ? |
La recherche du lieu atypique, et sa trouvaille, d'autres humains, qui sûrement pourraient être barbares, ou bien héroïques | tout simplement, sorte d'écart vivant et pourtant en plein centre, survivance de la simplicité. Petits blancs ? Ouvriers ? Toute petite bourgeoisie ? Mes parents tenaient un bar tabac... |
Cette ampoule éclairée au-delà de la vitre de la fenêtre et sus- pendue dans l'air, immobile. Elle ne se déplace qu'au balancement de ma | tête, de gauche à droite à gauche de haut en bas en haut jusqu'à mon immobi- lité. Je la vois maintenant partout depuis un jour d'hiver et dans une vigne enneigée. |
L'écrit dit et la parole dit et le corps dit, chacun de cela poursuit le discours et le complète -dans son incomplétude. Ne pas trouver alors de | contradiction, d'actes contraires, aux écrits et aux paroles. C'est bien le même qui existe. |
L'ange apparaît, comme si la force du désir qu'elle existe la révéla. Pas le fort ange wendersien. Pas l'asexué des églises, masculin bête et dadais. Bien plutôt | la douceur et la jeunesse incrédulement mythifiée, la grâce féminine, et sa possible écoute. |
Voix d'enfance, et aux mêmes heures, et qui tracent aussi la ligne, jusqu'à ce que s'estompe tout son. Les enfants sont alors déjà ailleurs, et si rapidement, même | si le vent, l'air, une brèche dans les murs, les atomes en rapportent encore leurs pas et cris. Ensuite le battement d'ailes, pour ainsi dire le silence. |
Et je n'y vais pas. Non je ne peux pas dire que je n'y vais jamais. J'y suis allé. Mais ici, et maintenant ? Ou bien j'y vais mais j'en reviens vite, ou | je me détourne, je ne m'arrête, je n' adresse la parole, je reviens, je n'ai pas écrit, pas lu, pas rencontré. C'est ma faute. |
L'épuisement du bois compte le temps/ Les menuisiers sont deux jeunes frères/ L'homme artiste, prétendument radical, fut acculé après deux ce qui m'en- | nuie en parlant d' une oeuvre, d'admettre qu'elle était nulle/ J'ai dû demander à l'un de laisser parler l'autre/ Les visages étaient peu photographiables. |
Et l'épuisement des jours ! Les jours comme les bûches. Le stock diminue. Jours et bûches brûlent, se consument. Nous portons les jours comme les bûches, un à un, une | à une. Ils et elles disparaissent ensuite. Chaque matin une bûche La réserve des jours même pleine on les compte. |
L'homme sait quelques fois abandonner volontairement le travail obligatoire, et il a le vertige du déroulement entier du jour. Il sait exactement l'obscurité et | le froid, la lumière et le chaud. L'attente du su est bien plus périlleuse que l' inattendu qui fouette le sang. Dommageable. |
Nous attendons l'heure. Il peut pleuvoir. Un silence épais. Et nos gestes sont : lecture, tête ailleurs, retrait du livre, amenée du carnet, soutien de la tête, | maintien de la page le poignet baissé qui rejoint le menton pris entre le pouce et l'index, c'est vrai c'est cela, le pouce caresse la barbe. |
Des chemins pour rencontrer des échappées, des gestes de comme si rien n' était, au cas où, les heures non connues, reconstruction des habitudes, au | hasard, bouche bée ou paroles anodines, revenu des images de bienvenue, et des métaphores pour garder secrètement la douceur supposée. |
Répéter un geste multimillénai- re ne m'impressionne pas, me le dire pas plus, le savoir non plus. Nous devons gesticuler ainsi de nombreuses fois | chaque jour. Je n'y trouve aucune poésie. Seule ma langue, et mon comportement induit, mes grimaces, peuvent m'impressionner. |
Hâte de la fin. Il y a donc 10 ans déjà j'allais rencontrer Adolfo et Carmen, et Bob, et mourait Beckett, et je voyageais en | train jusqu'à Girona. Mardi nous faisons chacun le chemin et nous rencontrons à Sète. Fêter le chiffre rond ? |
Ils se succèdent, de la gare au Palais, la main tendue, ou le réceptacle posé devant eux, j'ai trouvé de bonne humeur, le dernier me semble- | t-il, lors d'un premier parcours, ne pouvant plus guère recevoir, quoique 2 à 3 francs pour chacun ne représenterait que 20 à 30 francs. |