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Dominique Blaise
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_Notes sur NOTES *

"Je prononce ma sentence par articles décousus "
Montaigne, Essais, livre III ch.XIII

Au beau "notes sur Notes" de Perros peut-on ajouter un notes sur NOTES? Est-ce que ça ne fait pas un peu beaucoup? Ne va-t-on pas se prendre les pieds dans le lexique?
Pour s'y reconnaître, quelques conventions :
Note = le genre, sujet de ces lignes
note = la note actuelle ou telle Note
NOTES = le bulletin

J'ai d'abord pris NOTES comme un objet, non comme une revue ou un livre. Évidemment, une revue est un objet. Mais c'est un objet à lire. Il s'agissait pour moi ici d'une chose que l'on touche, que l'on pose, que l'on regarde éventuellement, mais qu'on ne lit pas.
La spirale, le carton fruste, l'absence de titre apparent, et le texte au dos, peu informatif mais tellement suggestif, tout cela cachait pourtant on ne sait quoi.
Il y avait aussi le trou sur la couverture, comme un aven dans un Causse, un de ces gouffres dans lesquels sont tombés pendant des milliers d'années des bêtes, de la terre, formant un cône d'éboulis d'os brisés, de débris organiques et de cailloux.
Ici le trou, un déchirement du carton, fait probablement avec un doigt, puis deux afin d'obtenir l'ébrasement, débouchait sur une photo du ciel. On tombait dans le ciel, puis, tournant la page de garde,on roulait sur l'amas des notes.
Feuilletant finalement ce chaos, j'y ai reconnu deux signatures. Je me suis donc mis à le lire quoique je me répète, on ne lise pas habituellement un objet.
Cette lecture a fait naître en moi une grande confusion, dominée par le souvenir des " Notes sur la peinture d'aujourd'hui ", de Jean Bazaine, un livre qui a beaucoup compté dans ma formation.
Brusquement, l'insignifiant mot note s'est mis à signifier, à travailler. Il m'avait poursuivi, à mon insu, au point que je m'en servais d'intitulé pour tous mes papiers aux étudiants. Chaque fois que j'avais quelque chose à leur dire je rédigeais des notes: "Note sur le mélange des couleurs", "Notes sur la valorisation", "Notes sur Wittgenstein", "Notes sur ceci ou cela". Je n'étais même pas affecté par la concurrence que me faisaient les secrétaires de l'Ecole avec toutes leurs "Notes administratives". Je faisais un usage indolore et passe-partout de ce mot qui surgissait maintenant sous un jour imprévu, et intrigant. Il était tentant d'en savoir plus. Usons de deux formules célèbres:
1) En paraphrasant A.R : "je n'ai jamais trouvé beau le désordre de mon esprit"
2) En plagiant L.W. : j'ai requis une certaine logique comme moyen d'avoir "la paix dans les pensées".
Alors, que faire des notes qui font ressembler la page à un champ de bataille, après la bataille?
(Faire une logique de la Note est comme faire une logique de l'illogique, c'est oxymorique!)


Outre mes familières Notes aux étudiants, Note (le concept) m'a rappelé un certain nombre de faits et de livres:
" EN VRAC " de Reverdy, livre inégal, presque mauvais livre, plein de philosophie vacillante, avec heureusement des éruptions poétiques quand l'auteur revient à lui. Le poète submerge alors le penseur.
J'ai découvert, des années après l'avoir lu -lu de travers, et abandonné autant de fois, que " EN VRAC " avait pour sous-titre : notes. Voila le genre exemplifié!

"REMARQUES sur..." de Wittgenstein :
Sur les dix sept volumes d'oeuvres de Wittgenstein publiées en français, six portent en titre " Remarques ", et un "Notes ".
La forme générale de toutes ces remarques, ainsi que la forme du " Tractatus ", et de " La Grammaire " est celle de notes.
Les " Remarques mêlées ", sont des notes, strictement : sujets et forme dispersés.
Les " Carnets " sont tout simplement des carnets de notes.
Les autres titres, ceux qui échappent à la note sont obligés par le genre (Conférence, Cours, Leçons, Dictées, Cahiers Jaune, Brun, Bleu). La note y est cependant récurrente dans les Cahiers Jaune, Brun, Bleu par exemple.
On sait que Wittgenstein n'aimait pas développer, qu'il avouait ne savoir le faire, qu'il appréciait Lichtenberg, qu'il pensait tout système impossible etc.
Wittgenstein, pur noteur.

Bon, les notes sont des Notes, les Remarques aussi, les Maximes, et Aphorismes sans doute, et les Résolutions ? Il s'en est formulé pas mal avant le premier janvier 2000 (voir par exemple ci-dessous).

La Remarque est à côté du sujet sur lequel on attire l'attention, la Résolution est à côté du temps, avant l'avenir, et à côté du réel : d'habitude, on ne tient pas une résolution.
Tout cela est à côté, en retrait. La Note est minorante, le plus souvent par décentrement.

Parmi les sens possibles de Note, il faut bien choisir, sous peine de se perdre. Dans les nuages peut-être? Il y a cette Image-de-garde dans NOTES, des nuages qui vous font croire à un ciel du sens. A lire NOTES, on entend qu'une stratégie est en place : il s'agira de chasser la note, faisceau d'intentions et de formes, en visant si possible tel type de notes, celles des artistes à l'atelier surtout. Ainsi en ont voulu les inventeurs de la Revue, excluant pour l'instant les notes du chimiste, du carrossier et de la repasseuse.

La certitude qu'une note en est une vient de son caractère irrépressible. Mais ça n'est pas suffisant pour la définir. Elle a bien d'autres habits: absence de forme, dispersion, piètre pouvoir de communication... La Note apparemment s'adresse plus à soi-même qu'à autrui, soi-même fût-il un autre que le noteur ignore. Pensons au titre de Paul Ricoeur, "Soi-même comme un autre", sorte d'écho espérant du "Je est un autre" par lequel Rimbaud s'annonçait.
Irrépressibilité donc, et destinataire par défaut. On échoue toujours à ne s'adresser qu'à soi.


Dans ces notes, je m'appuie sur l'objet NOTES, sa matière, les notes qu'il contient. Tout est d'ailleurs dans ce bulletin (en particulier p.47 du n°6), au fond du gouffre, sous la croûte de la couverture. C.J. donne le ton, le thème. Peut-on faire des variations et orchestrer?


On finit toujours par aller au dictionnaire, pour calmer ses incertitudes ou se réclamer d'une autorité. Je n'aime pas ces voyages, préférant endosser la responsabilité des mots que j'emploie. Mais j'ai tout de même été au Robert : pour Note, il y est d'abord question de Musique. Notre Note ne vient qu'après, avec un caractère adventice marqué. Elle pourrait ne pas avoir d'importance par elle-même, son centre étant désaxé comme nous l'avons déjà remarqué.

Le verbe noter désigne une "saisie rapide", renfort d'incertitude qui correspond bien rythmiquement au bégaiement, avec possibles fulgurances, que C.J. prête aux Notes comme un trait dominant. Afin de marquer cette incertitude sans doute, Notes ne figure pas en titre sur la couverture de NOTES. C'est tant mieux, on a le carton troué. La vue et le toucher déteignent sur la lecture, lui font rendre matité, lumière et obscurité, comme dans une éclipse.

La Note, saisie rapide, va parfois jusqu'à la contraction, jusqu'à la crampe. Le "Moïse et la Chine" de Pascal serait un sommet du genre. Métonymie phénoménale. Pascal pense développer dans l'édifice apologétique qu'il projette. Elle dit toute la distance entre nous, les judéo-chrétiens et ces chinois, les plus ailleurs, que les jésuites d'alors essayaient de circonvenir (Cf. à ce sujet les notes du Pléiade et les entretiens avec François Jullien dans "Penser d'un Dehors" (Seuil, 2000)).

Mais si NOTES s'intéresse aux Notes, c'est qu'elles recèlent autre chose que de la matière à développer, même si elles abandonnent rarement leur aspect croquis, esquisse en vue d'une composition, composition qui ne viendra jamais... qui aura le bon goût de ne jamais venir.


Peut-on dire qu'au même titre que l'Essai, le Roman, le Pamphlet -ce dernier étant avec la Poésie le seul genre qui vaille aux yeux de Tzara (je dis cela car j'ai longtemps partagé ce point de vue), peut-on dire que la Note est un genre d'Écrit? Et j'écris: genre d'Écrit, et non: genre littéraire, car littéraire ça anoblit, et il semble bien que la noblesse soit étrangère à la note, qu'elle ne lui aille pas.
Mais le genre Note, comment se distingue-t-il? Peut-on lister les attributs du concept Note? Peut-on trouver quelques traits communs aux spécimens qui composent le bulletin NOTES, polymorphe, instable et, nous l'avons signalé: non-noble à en être narquois.
Et d'abord, à quoi sert une appellation selon un genre? à s'orienter? Il est vrai que lorsque je vois Roman sur une couverture, je tourne lecture, ayant déjà fort à faire avec les Pamphlets, les Poésies, auxquels j'ajoute les Précis et les Traités. Pour Essai, Bourdieu disait qu'il s'agissait d'une manie française, mauvaisement théorique. Alors je suppose que lorsqu'il voyait le mot en couverture, il n'allait pas plus loin...
L'appellation selon le genre oriente et permet au lecteur d'exercer son préjugé. C'est économique. Mais le genre note, à supposer qu'on puisse le définir ne permettrait pas à lui seul une discrimination décisive. Il est contaminé (par les autres genres). Il y a (sans doute) la note-roman, la note-verbatim (un pléonasme, si j'ai bien compris), la note élégiaque, la note tragédie. Tous les genres l'attisent, la chromatisent... ou l'éteignent.



La Note irrépressible saisit donc au vol. Elle accroche et précipite. Gouttes de temps perlant sur de la page. Genre parlant du temps, parlant au temps. Mais ne peut-on en dire au temps encore plus, en recourant à des genres encore plus orageux?
Et pour ce qui est du précipité temporel, ne peut-on en dire autant de tout écrit, puisque tout écrit et pas seulement la chronique ou le journal, a des vertus fixatrices ?
Comme la Note n'a pas de forme propre, hormis le morcellement -et encore, comme elle n'a pas de tonalité propre, les ayant toutes, et en elle, les autres genres perdent leur force, pâlissent, se dessaturent en lui cédant leurs couleurs, elle est bien cela : une précipitation, une centrifugation quand les autres genres sont en extension, une latence quand ils ne sont que manifestes. Si le concept de note n'avait qu'un attribut, ce serait le temps, non le temps chrono, mais ce temps ponctuel d'où l'on voit le monde sub speciae aeternitatis. Ainsi la note qui rend sensible ce temps qui la constitue embraye sur le monde. Elle est du temps montré, et dans cette ostentation, quelle précarité!

Écrire peut être un devoir, un métier, un passe temps, un pensum... noter ne peut être qu'irrépressible.


Je viens seulement de m'apercevoir de ce que la Note, sur vingt, sur dix ou en quatre ou cinq points signifie pour les élèves.


Revenons à NOTES, objet que l'on touche. Il présente des illustrations également tactiles, ces reproductions à l'encre épaisse, avec des brillants de chromos, ces reproductions qu'on peut effleurer. C'est une revue à visée franchement kinesthésique.


La Note semble ne pas prêter à conséquence, et le noteur ne pas s'engager.

Ce que j'écris m'apparaît "comme de simples notes". L'expression parle d'inachèvement, de pensées mal formulées...
Pour ces notes, je me suis concentré chaque fois que je sentais la Note monter... sans être jamais certain de ne pas jouer ce que chante Gainsbourg : "Mr Hyde prend des notes pour le Dr Jekyll".

Ce que je croyais des notes : qu'elles (ne) valent (qu') en tant qu'elles possèdent une forme assignable, un délié littéraire, ou une valeur de contenu.
Si c'est le cas, elles pointent quelque chose qui demande à être développé, ou qui peut l'être, ou qui peut être exprimé sous une autre forme. La Note serait un germe à croître et si l'on n'y sent rien de fécond, s'il n'y a qu'une petite idée dedans, alors la note doit rester simple note. L'idée ne gagnerait rien à l'agrandissement. Une naissance aux forceps la démembrerait.

Simple note en tout cas doit rester la note qui, symptôme affleurant, met en danger l'intégrité du noteur.
Noteur au stade du miroir, je suis effrayé par mon image.

On ne s'avoue pas noteur impunément.

Robert Bresson a écrit des " Notes sur le cinématographe " (rééditées en folio). Godard dit les avoir souvent utilisées (Télérama n°2679, mai 2001). Il cite cette phrase impressionnante : "Soit sûr d'avoir épuisé tout ce qui se communique par l'immobilité et le silence". Cette phrase, Godard l'a mise en exergue d'une de ses " Histoire(s) du cinéma ". Elle pourrait être la Note des notes.

Reste la note de bas de page. A celle - là, tous les débutants à l'ordinateur doivent des combats incertains, sur les champs disjoints de l'écran et du clavier. Nous tenons la note? elle disparaît. Nous n'en voulons plus? comment réussir à l'effacer?
Cette note, s'ajoute, à la traîne des idées. Elle précise, réfère, met au point, excuse, euphémise, aiguille, aiguillonne. C'est sans doute la plus triviale, parmi celles dont nous nous occupons. On est descendu bien bas... Elle fait pourtant partie de la famille.
(...)
Dans un livre savant, la thèse intéressante se trouve souvent en bas de page, effilochant la thèse rédigée.
(...)
La pensée du noteur laisse des empreintes partout.

Qui n‘est pas noteur ?

Je fais des fausses notes.

Les notes d'atelier, maintenant. Elles sont des plus secrètes, des plus privées. Les publier semble une effraction. Mais on n'imagine pas les rédacteurs de NOTES entrant dans les ateliers en cassant la verrière. Il est plus probable que l'artiste leur a ouvert le verrou, puis s'est laissé dépouiller le temps d'un inventaire de ses bouts de papier punaisés, de ses annotations en coin de carnets à dessin....
Autre paradoxe: les notes d'atelier traitent-elles du travail? des oeuvres? Mais alors, ont-elles un sens, détachées de ce dont elles traitent et qu'il faudrait montrer avec ? et là: comment appréhender visuellement ce travail, et lire, j'allais dire: en même temps, les notes dont il est l'objet? Le temps de la lecture doit-il succéder au temps de la contemplation? Y a t-il une perception opératique possible, oeuvre plastique et texte (avec pour musique du silence)?
Heureusement les notes d'atelier traitent souvent de tout : des douleurs de l'âme, beaucoup (ce ne sont pas les meilleures), de Dieu, des notes d'électricité qui ne sont pas réglées (et ce type de note pense-bête est une méta-note qui dit quelque chose de l'existence) etc. On savait que les notes avaient des sortes de vies parallèles à la vie, qu'elles pratiquaient le décentrement, là on a, ou on croit avoir l'objet principal du décentrement: l'oeuvre.
Reste une question de taille: pourquoi tant de mal à l'âme exprimé à propos du travail d'atelier? Imagine-t-on Artaud découvrant les notes d'une ménagère, cachées sous une pile de repassage et les réunissant sous le titre "La suicidée de la société"?
Toujours est-il que la note d'atelier la plus secrète, comme toutes les choses restées à l'ombre, possède des couleurs fraîches, un état que n'aurait pas un travail d'écriture mieux revendiqué.
Alors cette note, comme toutes les autres mais plus que beaucoup, apparaît peu consciente d'elle-même. Feinte, ou camouflée, c'est une espèce de ruse de guerre taoïste dans laquelle le noteur avancera toujours en vaincu.

achevé le 10 JUIN 2001





Exemple de notes-résolutions:
Résolutions de Dominique BLAISE pour l'exposition de Delphine Reist à MIRE

Savoir "quand il y a art" (sans lire pour autant les oeuvres complètes de Goodman). Boire un (Nes)café avec Hervé pour traiter du sujet. Demander à Delphine ce qu'elle en pense. Retourner en chine prendre le train en couchettes semi-dures. Abattre l'hydre scientiste. Promouvoir l'éthique sans affaiblir l'esthétique. Crucifier Bouddha. Demander pardon. Cacher la bonne bouteille de single malt. Vaincre la peur de l'informatique. Réussir la transmission du courriel pour les femmes afghanes. Dire à Tiberi que le service de crémation du Père Lachaise est lamentable depuis quatorze ans et jusqu'au 26 de ce mois inclus. Traire une vache Amisch avec volupté. Entamer un jeune avec un vieux. Écouter les bruits fossiles. Faire tout en même temps. Devenir un mélomane majeur. Courir vite sans avoir le coeur qui bat. Cesser d'avoir mal au dos. Lire la mythologie sans ennui. Faire une exposition définitive. Comprendre la différence entre correct et vrai. Supprimer la douane suisse. Avoir le temps de retourner à Mire. PAS DE CHANGEMENT SANS RÉSOLUTIONS (Publicité AUCHAN, Janvier 2000). Voir ce qui est le cas. Prolonger le moratoire entre métaphysique et épistémologie. Réparer la table ovale. Écrire plus souvent à Lucie. Arrêter de lire Le Monde. Trouver des bûches qui brûlent. Racheter du Marcyllac. Aimer cinq milliards de fois. Mettre du poison dans la crème de bronzage de Jorg Haïder. Revoir la grande Muraille du côté de Heilongtan. Chercher s'il y a lieu. Mazouter les chiens de Bardot. Devenir dissident. Etre prêt pour le jour et l'heure. Relire La Montée au Carmel. Essorer les archets des philharmoniques. Retourner à l'atelier. Passer directement au troisième millénaire. Faire bouger les bougies des bouges de Kuala Lumpur (merci Robert D. de m'avoir soufflé cette résolution). Compter TOUTES les chaises. Trancher dans le vif. Épiloguer. Nager dans les yeux. Tisonner la braise murmurante. Déployer le thorax. Oublier les dessins de la diarrhée sur la jambe. Pleurer encore plus souvent. Apprendre la vraie samba. Sculpter le masque de Re Yang dans du bois dur. Caresser le globe terrestre. Améliorer ma trajectoire dans le double droit à l'entrée d' Ecully. Construire un squelette en plume. Rédiger la grammaire générale. Entendre indéfiniment Dalberto dans le deuxième mouvement de la Deutch 664. S'atteler à la tâche d'encre. Apprendre à jouer au rugby. Changer la moquette du séjour. Obtenir le pardon de G. Écrire un traité d'esthétique. Étudier le taoïsme. Écouter le vent dans les bambous. Dessiner directement avec l'esprit. Cesser de souffrir. Épurer, apurer. Sangler un cheval. Tarder à venir. Glisser la main entre terre et nuages. Faire calculer mes points de retraite. Mesurer le dépassement du siècle passé sur celui-ci. Trier les bibelots. Ne jamais jurer de rien. Relire "Le Passage". Attendre, atteindre et attenter. Éteindre. Étreindre. Effilocher les tissus valeureux. Vieillir plus tard que prévu. Lire Pascal. Gésir à côté des gisants. Trouver un titre. Dire au revoir à Jean Bazaine avant qu'il ne meure. Dire au revoir à M. et Mme Th. avant qu'ils ne meurent. Savoir ce que sont devenus M., M., F.G. Trier les affaires de la Rue de C. et ne rapporter que ce qui est vital. Jeter le reste. Suspendre le suaire de Séméfo. Demander à Jean-Louis les recettes de conservation de l'impression sanguine. Refondre entièrement le cours sur la perception. Rompre de façon indolore avec ceux qui ne m'aiment pas. M'habiller jeune sans m'en rendre compte. Trouver un cours de relaxation efficace où l'on ne dit pas des sornettes. Avoir un secrétariat. Avoir la paix dans les pensées. Soutenir N. sans être atteint par sa souffrance. (Décrocher la lune). Friser.
Genre de résolution impossible à tenir (à cause des cours dans la semaine et du train vendredi soir): aller voir Delphine et Cécile à Grenoble, au vernissage de la Nouvelle Galerie.


Notes sur NOTES : additif, mai 2002


A relire ces Notes, quelques mois après, je m'aperçois qu'elles auraient pu se poursuivre, et que, en même temps, cette poursuite aurait été vaine.
C'est le propre de la note que de n'avoir pas de forme, de contour prégnant, de début qui en soit un et de fin nette. On ne peut l'ouvrir par une introduction ni la clore dans une conclusion. Elle naît, certainement, comme ces cours d'eaux à résurgences multiples dont on ne trouve jamais l'origine, et qui vont s'étaler en delta, après un cours effiloché et capricieux.
J'ai tenté, très brièvement mais intensément de capter la Note, de la domestiquer en m'exerçant à être informe, de l'ordonner en laissant agir son désordre. Mais la Note ne peut se saisir elle-même. Alors son cours a infiltré la terre dont il ne sortira sans doute pas. Ou bien il a été très rapidement à la mer pour s'y dissoudre.
Car si l'on peut écrire des notes, repérables comme Notes à leurs évitements de toute forme stable, de tout projet univoque, de toute conscience claire, on ne peut saisir toutes les notes sous un minimum de vocables, hormis peut-être ceux d'urgence, d'irrépressibilité, de fragmentation et de polymorphie.
Note serait une Notion plus qu'un Concept. Hors une Notion flotte dans sa constellation d'attributs. A chaque noteur de pêcher ceux qui lui conviennent. Mais qu'on ne compte pas dire un jour ce qu'elle est. Une ontologique élémentaire conclurait (trop vite?) que si le bulletin NOTES existe bel et bien, on peut le toucher, la Note elle, n'existe sans doute pas.




l du même auteur ailleurs sur le site l



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