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Je pouvais, je voulais tenter laventure (du GÎTE) seul, sur ce thème on ne peut plus concret : jécris ces lignes avec un reste de lumbago sévère, contracté (un lumbago est toujours contracté) en regardant les ouvriers faire le terrassement pour latelier.
Et comme si ce choix thématique était en même temps un acte de discernement rétroactif, je repensais à ce fait signalé plus haut, à savoir que NOTES est né des Notes datelier.
Comment occuper mieux le Gîte offert par NOTES, que dy réfugier des nouvelles dateliers? Ce serait prendre NOTES au mot initial , faire boire la revue à sa source.
Je pourrais évoquer, à partir dun embryon de construction entreprise au fond dun jardin, dautres ateliers, récents , anciens.
Notes sur mes ateliers, ou Nouvelles notes datelier serraient le déversoir d un barrage. Voyons ce qui fuit par là, ce qui défile: lambeaux dactualité, esquisses de synopsis documentaire, ruschs jetés à la corbeille, tout ce qui va garnir ce GÎTE DÉTAPE.
Sur ce sursaut, jai accepté de gîter dans NOTES, et CJ a accepté que jaccepte jusquà ce quune réfléxion prolongée, complète et partagée moblige à conclure que le GÎTE de NOTES nétait pas le bon réceptacle de ces NOUVELLES NOTES DATELIERS que cette idée du GÎTE avait pourtant déclenché. Il ny avait pas franchement de règle à priori comme le Gîte en suppose une. Pas non plus denthousiasme de ma part pour un dévoilement quotidien spontané, interdisant presque les corrections: je corrige toujours, tant que louvrage na pas quitté le métier, et là, dans le Gîte détape, le métier débite, laissant voir chaque reprise -ça nest pas grave, mais trahissant un temps réel auquel je nai jamais cru.
CJ accepte et suggère donc que mes NNA (Nouvelles Notes d Atelier) rejoignent lordinaire de NOTES dont elles sont une contribution proliférante.
NNA
26/10/10
Depuis le 3
avril 2007, tout ce que je note au jour le jour va sur un fichier
qui sappelle NOTES DATELIER
La première phrase que jy trouve est : NOTES DATELIER, quel banal titre, quelle mauvaise entame, quelle laide inauguration.
Un artiste célèbre qui porte les mêmes initiales que moi (D.B) se répandait sur le fait quil na pas datelier. Il claironne à la cantonade quil travaille et vit in situ. On pourrait croire que dans cette célèbre proposition, son atelier cest le monde. En fait, son atelier nest pas le monde. Cest lendroit où il travaille, plus prècisément, si jai bien compris, lendroit où il expose.
Et cela exclut latelier dartiste, ce lieu de repli à la lumière controlée Cela exclut le loft. Cela exclut cette salle mythique en dehors de laquelle un tas dartistes ont des vapeurs, et où, selon le critique rabacheur dune revue de bon ton, il faut toujours retourner, se ressourcer. Se retirer du monde.Il ny a que là de vrai et, vérité subséquente: Il ny a (de vrai) que la peinture. La réaction est claire, inchangée depuis plus de trente ans.
Je préfère dire que mon atelier est le monde. Il contient par conséquent, éventuellement, latelier traditionnel dans lequel, par moment, je me trouve bien.
Car le monde dont parle notre artiste célèbre se réduit au monde de lart, ou, du moins, y ramène. Cest un lieu de recyclage des valeurs, de transmutation de la merde en or. Cest aussi un monde médiatique, amaigrissement pathologique du sens. Car le médiatisme nimpose pas à lart, par réflexion, une simple cure quon pourrait juger bénéfique, il est demblée une anorexie.
Améliorant ma formulation, je pourrais essayer :
mon atelier cest PARTOUT. Un Partout, substantivé (substantivons, pour une fois, et trivialisons en même temps) ou nativement adjectif, partout, nest pas dans ou hors de latelier. LAtelier nindique pas réactionnairement à latelier, ni, progressistement, in situ. LATELIER contient le PARTOUT. Et vice vers ça. Les deux mots sinterchangent -se tuilent, se montent, se fécondent, dans ma dictionnarité.
Je suis bien dans une petite chambre dhotel, comme Henri Michaux , dans une usine, comme Gerhart RICHTER , dans une feuille de papier comme des miliers de gens et sur un écran dordinateur comme des centaines de millons.
Lartiste est à latelier ce que le regardeur est à loeuvre. Cest lui qui fait (latelier) et défait. Latelier est parfois oeuvre. Loeuvre est parfois latelier plutôt que ce qui est dedans. Tout est atelier? Non. Tout peut lêtre . Si support-surface avait gratté un peu plus loin que le chassis, que la toile , puis le pigment séparé du véhicule etc. Il aurait décliné latelier en ses grandes parties, ses accessoires obligés : exhibé la verrière nord, déposé les sheds , démonté la crémaillère du chevalet et le plateau tournant de la sellette.
Maintenant, il ne sagit pas de nier la magie quexercent certains espaces sur ce qui sy trame, mais il est connu que dans un bel atelier, on ne fait rien. On est rassasié, sinon gavé. En tout cas détourné des nourritures et des saveurs vitales.
Lorsque je regarde le nombre de mes ateliers stricto sensu, la durée de leur occupation, je mesure à quel point ils ont accompagné ma vie et mon travail, même lorsquils mont peu servi concrètement. Ils font partie de PARTOUT mon véritable ATELIER.
Et pour en rester à ces lieux aux caractéristiques répondant à lappellation dorigine controlée Atelier, il men revient en mémoire. Retour en ordre dispersé, sans hiérarchie.
1958-59
À Prés-fleuri, la villa à vingt et une pièces sur trois niveaux de mon adolescence, jallais peindre dans une chambre mansardée éclairée de biais, alors quil y avait de grandes pièces quadrangulaires, lumineuses et inoccupées. Besoin de menfermer. Je navais pourtant pas lu La vie de bohème.
Lorsque jai attaqué deux formats de deux mètres par un mètre vingt pour un Bâptème du Christ et une Crucifixion demandés par le vicaire de la paroisse pour léglise, jai monté les panneaux disorel dans la mansarde où ils tenaient tout juste debout à lendroit le plus haut. Dinterminables chauffes au bain-marie de colle de peau pour apprêter les panneaux et faire le liant des peintures, ont longtemps empuanti ce petit espace où jétais bien. Mon atelier a été cette forte odeur, jusqua ce que le travail jugé fini, sans le recul quil aurait fallu pour le bien juger, je descende ces grands formats dans le hall de la villa, proportionné à les recevoir. Là, vus de loin, ils mont paru acceptables, et respectables.
1961
Au 101, (le 101 rue St Dominique à Paris), minuscule deux pièces parisien de ma période beaux-arts, jai parfois dessiné dans le salon, à côté du lit-cage replié. Dautre fois dans la cuisine lorsque ma grand-mère, ma chère logeuse, était descendue faire des emplettes. Je me souviens de la feuille raisin sur le carton, au sol, à même la tommette . Et je fais un essai graphique avec du cirage noir delayé à la térébenthine. Jai lu que Rouault peignait avec un tas de choses , comme du mercure au chrome
Quai Malaquais, latelier de la classe préparatoire des Bx-Arts était peu éclairé avec une verrière zénithale, aussi encrassée que les murs. On y remarquait un poële dont les tuyaux extravagants ont été le sujet de ma première peinture à lÉcole.
1964
Latelier de première classe que je venais dintégrer était bien éclairé. Grandes verrières sur les jardins privés du Directeur de lÉcole. Végétation débridée avec en fond, le mur du Palais des études autrement appelé Galerie des moulages, en langage savant la gypsothèque. Pendant les quelques mois que je suis resté là , jai dessiné ce jardin échevelé qui me rappelait une pointe sèche de Vuillard . Ensuite, jai peint daprès un paysage que javais noté au Louvre, une composition de Georges Michel , paysagiste romantique. Cette composition me fascinait parcequelle était faite dans une proportion un sur deux -un double carré comme on dit, ce qui était une gageure. Je me suis donc mis en face dun jardin, pour peindre , daprés quelques croquis crayonnés , un paysage noté au Musée den face , dont je reconstituais les couleurs de mémoire. Le jardin réel faisait fond. Il me stimulait. Le problème pictural que je me posait était délicat. Le patron qui passait deux fois la semaine venait commenter cet exercice ingrat , avec quelque pertinence si je me souviens bien. Nous tournions le dos au centre de latelier où trônaient , tel le moyeux de lenseignement, le gros plateau rôtatif du modèle, et le fatidique poële noir, sans doute celui là même quon peut voir sur les tableaux des étudiant Marquet, Camoin ou Matisse. Car latelier du Professeur Chastel était celui où Gustave Moreau avait enseigné une suite de célébrités, à lextrème fin du XIXème siècle. Outre les déjà nommés, Rouault avait été élève à cet endroit. Une réputation moderniste restait attachée aux murs , raison pour laquelle je lavais choisi. Souverbie , le patron prècédent navait pas fait honneur à cette réputation. Ayant dépassé la limite d âge, il avait dû se retitrer. Mais sa sénilité académique navait pas de rapport avec son âge réel, je pense quil en était atteint depuis toujours. Le professeur Chastel , nommé après que quelques étudiants dont je faisais partie aient essayé en vain de faire recruter Jean Bazaine , est à ma connaissance, le premier peintre abstrait qui soit rentré à lÉcole des Beaux-Arts de Paris. Singier, autre abstrait notoire, devait lui succéder peu après. Jétais déjà sous dautres cieux, dans dautres ateliers,
Toujours est-il que jai travaillé dans cet atelier prestigieux en lui tournant le dos, lui prèférant la proximité de ce paysage réel mais inaccessible, les jardins du Directeur, dont la vue stimulait mon ardeur à imaginer un autre paysage , le mien, daprès un troisième croqué au Louvre, celui de Michel, que je suppose avoir été lui-même largement imaginaire.
Je minstallais pour cela dans un espèce de couloir lumineux dont une paroie aurait été la rangée de grandes toiles sur chevalets en quinconce, tournées vers le modèle ou la nature morte, au centre de latelier que je ne pouvais voir, lautre paroi étant la verrière qui donnait dehors. Ma situation optiquement incommode et mon comportement sinusoïdal sinon fuyant, nempéchait pas, je lai dit, notre patron de venir commenter mon travail.
1957
Garine était un artiste, Russe-blanc je crois. Il vivait chichement dans une courte rue qui porte aujourdhui son nom, sculptant le bois et la pierre, en tirant ses sujets des formes du matériau brut. Tolstoï dans un petit morceau dalbâtre, le soldat anglais dans une buche dure dont le veinage esquissait les fascines dune tranchée etc. Ma mère avait râté lachat dun archer esquimau, à ses dires la seule oeuvre dart quelle ait failli acheter dans sa vie. Mon père avait chroniqué les expositions de Garine dans lÉclair des Pyrénées. Il sétait permis de lui montrer quelques dessins que javais fait; et celui-ci avait immédiatement proposé de me former, lui qui ne prenait quasiment pas délève, pour se consacrer exclusivement à son oeuvre. Cétait un signe encourageant pour moi et une fierté pour mes parents. Jai donc pris le chemin de la rue Garine -je ne me souviens plus du nom quelle portait à lépoque, chaque jeudi après midi, pour deux heures de travail. Cétait au début de lhivers. Il me recevait dans la pièce centrale, tout près du poële, où je faisais avec le singe, le perroquet et le chat une petite compagnie. Un atelier circassien en somme. Le sien était à côté. Je lavais entrevu mais il ne my a jamais admis plus que les quelques secondes nécessaires à le distraire pour la correction, lorsque, estimant terminé ce quil mavait enjoint de faire, javais besoin de son avis.
Il minstallait comme jai dit, parmi les trois animaux, devant une nature-morte, avec une petite table et mes gouaches. Une fois ça a été des fleurs, des chrysanthèmes je crois, une autre fois des livres et une bougie. Souvent, il me rejoignait et sasseyait dans le grand fauteuil à oreilles, avec en main une sculpture à dégrossir au canif ou à polir au papier de verre. Le chat montait sur ses genoux, mécontent des copeaux quil recevait sur le poil, et le singe montait sur ses épaules, tirant sur sa chainette, ou bien il sasseyait sur un tabouret de bois, à côté du poteau qui retenait la chainette. Alors commençait entre les trois animaux un jeu qui reste le meilleur souvenir de cet atelier là. Le singe asticotait le perroquet et le chat. Il passait sa main extrèmement fine à travers les barreaux de la cage jusqua toucher vivement de lindex les plumes du perroquet. Celui-ci criait alors en se déplaçant, ébouriffé et battant des ailes, lair indigné. Le singe qui avait retiré sa main en un éclair regardait ailleurs, comme si de rien nétait. Ou bien il remontait sur les épaules de Garine et faisait le coup au chat, une pichenette qui durait le temps dun éclair, et je regarde ailleurs qui le rêveillait. Mon professeur connaissait tellement ce petit jeu quil ny faisait plus attention, souriant parfois, lorsque le coup était plus réussi que dhabitude, rabrouant ses bêtes sils exagéraient le jeu jusquau chahut. Le chat descendait parfois des genoux de son maître, soit que la pichenette du singe lait reveillé, soit que la dispute du perroquet et du singe lui déplaise, soit quil en ait marre de recevoir les copeaux la sciure, ou dêtre remué par les mouvements de Garine peaufinant sa sculpture. Il rejoignait son panier, au pied du poële. Lorsquil dormait depuis quelques minutes, le perroquet émettait un miaulement. Le chat, surpris quittait sa couche pour faire le tour de la maison à la recherche du congénère qui aurait osait le défier sur son territoire. Lorsquil était dans les autres pièces, le perroquet redoublait ses miaulements auxquels le chat répondait, désemparé. Les bêtes sexcitaient, accélérant le jeu jusquà ce que Garine, perturbé dans sa sculpture et dans lenseignement quil me donnait y mette le holà en les grondant. Les miaulements en échos séteignaient alors, jusquà la fois suivante.
Jai assisté au moins deux fois à ce cirque extraordinaire. Jen étais je crois à la quatrième ou cinquième séance du jeudi quand une voisine est venue dire à ma mère, en ma présence : Garine est mort. Je nai rien dit mais mon corps se souvient dun serrement de gorge et en haut des entrailles lorsque jai reçu la nouvelle.
Garine ne mavait rien appris. Peut-être nen avait-il pas eu le temps? Il mavait encouragé et laissé faire. Il madmirait, si jen juge par une réflexion faite à mon père qui me la rapportée plus tard: votre fils peint aussi bien que Cézanne. Jai toujours trouvé cette appréciation ridicule. Elle traduisait certainement plus linculture de ce professeur que mes propres qualités. Nempêche, son atelier si chaud a compté énormément. Je navais aucune confiance en moi et cette famille animale me plaisait.
05/11/10
Principe (en paraphrase du principe adopté par Philippe-L. P pour son Gîte ):
A l'initiative de Catherine Jackson, Dominique BLAISE est invité du au à occuper le "gîte" de Notes.
Dominique BLAISE se propose pendant de fêter, à sa manière, le énième anniversaire de son premier atelier. Telle sera sa contribution.
Si lon considère que chaque endroit où lon a travaillé est un atelier, alors, la liste de ces endroits mérite dêtre remémorée. Ne serait-ce que pour se donner un petit vertige.
Mais doit-on retenir tous les endroits (où lon a travaillé)? Cela fait au minimum un par exposition, parfois deux si lon considère que lexposition est préparée hors site. Il y aurait donc, par exemple, telle Galerie, plus la chambre dhôtel où lon a revisé le dossier dinstallation. Cest beaucoup sans doute, trop certainement.
Alors, il faut affiner le critère de sélection. Affiner un critère de sélection me fait immédiatement horreur. Cela conduit à accepter un objectivisme dont jai passé mon temps à me défier, si bien quaujourdhui, je tourne les talons dés que je vois un système se constituer sans mon assentiment profond. Il serait long dexpliquer ce point. Je nai rien contre les systèmes en soi. Sinon, je ne pourrais accepter lart qui en est plein, et lart contemporain qui en déborde. Par contre, la question décisive me parraît être ladhésion au(x) système(s), par assentiment profond, ses motifs, ses justifications. Sur ce plan, je ne saurais être que subjectif, absolument, ce qui me conduit à aimer les systèmes parcequils rendent possible leurs dérogations et leur inachèvement. Être antisystème suppose lexistence de systèmes. Lêtre au point où je le suis, suppose des systèmes consistants. On ne peut sopposer à Rien, on ne peut contrer une réalité invertébrée.
Mais le critère ultime, hors système, cest la profondeur de lassentiment. Fidèle à vous même, votre art fait système, et, sil sagit dun art nécessairement systémique, il fait métasystème. En émerge un aspect visible, sensible, mesurable presque, en tout cas commentable. Les esthéticiens classiques appelaient ça le style, il me semble.
1964
Brignoles, Var, route de Bras, dans la pinède, campement du Premier G.S.P (Groupement de Secouriste-Pompiers), destiné aux Objecteurs de conscience. Jai eu là, pendant neuf mois, et un peu plus loin au bord des vignes, pendant un peu moins de temps, deux ateliers.
Le premier est sous la tente. Dassez grandes tentes de larmée, pardon, de la Protection Civile, cette sorte darmée sans arme. Elles sont claires, en forme de maison avec deux pièces et une entrée au milieu. Des maisons dont les portes et les fenêtres senroulent. Nous sommes deux par tente. Jai la chambre de gauche, Serge celle de droite. Lentrée, une vraie pièce nous sert datelier. Serge et moi sommes peintres. Daccord sur un point : des goût et des couleurs il faut discuter, ce quon fait sans cesse. Maintenant, sur de ce dont on discute, on nest pas très daccord. Il est sous la coupe de Georges Mathieu dont il lit les textes, moi sous celle de Jean Bazaine dont jai vu récemment les encres de Hollande. Notre amitié est tout de même formidable et riche. On travaille très peu. Les murs de toile de notre petit endroit auront entendu infiniment plus de mots quils nauront vu de coups de pinceaux. Ils auront tout de même entendu et vu les outils gratter le papier car nous sommes tous les deux assez graphistes. La plume de Serge surtout fait du bruit. Ma mine est moins bruyante. Et je sorts volontier dans le paysage, retouchant à latelier avec un pinceau qui glisse en silence.
Nous avons construit une table en planches brutes, à côté, je vous le donne en mille, dun poële imposant, cylindre de tôle noire doublé dune tôle antibrûlure. Ce poêle pourrait signer le lieu comme atelier, mais toutes les tentes en sont pourvues.
Sur la table, je fais des courriers et grave parfois un lino tandis que Serge, enfoncé dans un fauteuil de camping, lit Georges Matthieu en exhultant, ou gratte une feuille à la plume, avec force paraphes.
Nos discussions ont lieu tard, à la fraîche, une franche fraîche en ces nuits davril. Les journées sont vites insupportables de chaleur. Nos tentes sont mal ventilées et les cigales assourdissantes abrègent la moindre tentative de sieste.
Je sors toutefois de temps à autre avec mon carnet de croquis, parfois même avec mon chevalet de campagne. Dans ces tournées de paysagiste jai repéré une petite maison de vignerons dont le propriétaire ne fait manifestement rien. Je le retrouve. Il nous la prête volontiers. Elle est abimée mais entière. Ce sera notre deuxième atelier, plus stérile encore que la tente: nous ny ferons quasiment rien dautre que les menus travaux pour le rendre habitable et propre, partager les douzaines de verres à pieds rustiques que nous trouvons au grenier et dont le paysan se moque etc. sans compter la poursuite des conversations sur la réfection du monde, entreprise que nous avons entammée en refusant le service armé, en formant ce premier groupe dobjecteurs comme embryon de la société future, et en courant éteindre les feux de forêt vraiment délirants cette année là. Toutes ces activités prioritaires nous occupent à temps plus que complet. La pratique et la réflexion artistiques viennent après, encombrantes presque.
Peut-être devrais-je compter comme troisième atelier de cette période ces bords de champs, brièvement mais intensément fréquentés, où une ivresse chromatique ma pris devant le vert de gris des pins et des oliviers, le jaune de chrome des herbes et les rougeoiements vineux que donne la bauxite aux sillons séchés.
1968 Janvier-juin.
Mon atelier de Zouk Mousbeh au dessus de Beyrouth est un joli petit bâtiment de calcaire, un parallélépipède posé entre deux murs de soutainement, au milieu des amandiers et de tous ces fruitiers qui font le printemps libanais orgiaque. Un mur sappuie sur une chapelle dévoûtée dont les arcs doubleaux restent entiers dans le ciel.
Mon lit est fait dune grande planche sur des tréteaux couchés. Mes tables, jen ai plusieurs! de planches identiques sur des tréteaux debouts. En fait joccupe un dortoir destiné à des groupes de jeunes comme il en passait beaucoup lété au Liban, à cette époque. Il est vide les autres saisons, on me le prête. Cest une chambre-atelier convenable, hormis son climat. Des menuiseries rustiques laissent lair circuler comme il veut.
Mon atelier de Deir Mar Challita, au dessus de Zouk Mousbeh, est une des cellules de ce petit couvent désaffecté dont jai été lunique occupant et gardien pendant quelques mois. Jy suis logé et nourri (nourri sur note de frais. À moi de me ravitailler au village, par un chemin dâne extrèmement escarpé), contre un tiers temps de travaux dentretien. Jai repeint pendant des semaines toutes les persiennes du couvent. Lorsque je ne bricole pas pour mon logeur qui a la charge publique des lieux et que jai fait mes travaux ménagers, lorsque je nécris pas, du courrier ou des poésies, je sorts faire des encres de chine, au milieu de vignes en friche qui vont bientôt redevenir entièrement sauvages. Le ciel en continue les sarments fous. La mer brille en bas, sur la baie de Jounhieh, jatte profonde où les éléments sont constament battus de chaleur et dhumidité, laissant entrevoir le pire, au loin, Beyrouth enfoncé dans son climat et son histoire.
Une rangée de cellules moffre autant dateliers que je veux. Mais je dors et travaille dans la plus belle, celle du père abbé, la seule qui ait double orientation et de hautes fenêtres.
Chaque soir, à Zouk Mousbeh et à Mar Challita, je posais au sol ou sur les tables, sous lampoule nue, les encres que javais fait le jour. Il arrivait quun coup de pinceau, un seul, suffise à la retouche. Mais le plus souvent, les touches se multipliaient devenant réfection. Pour gommer, je recouvrais avec une gouache blanche, bien grasse. Le paysage déjà abstrait repartait dans une nouvelle rythmique.
1979
18 montée des Épies, Lyon Vème
La grande pièce du bas attendait quon loccupe. Elle gardait son caractère dusine avec ses feraillages au plafond, sa verrière en vitre martellée, sa large porte en fer sur la rue, et surtout, son établi mural courbé selon le ventre des bijoutiers qui y avaient sévi un siècle.
Patrice y a installé son premier atelier après lÉcole des beaux-arts, puis Alain la rejoint. Deux ans après, ils me rendaient cet espace, blanchi et moquetté à titre de loyer. Jai hâte de reprendre le travail après des années dhibernation créative. Jentasse des livres avec lesquels je fais tout un tas de pièces, pérennes ou éphémères. Bientôt, jarrache le revêtement de sol pour faire profiter tables et chaises dun appui antidérapant. Retour aux matières et aux choses sérieuses.
1985
Rue de Créqui. Lyon, Alain et Jean-Louis mouvrent soixante mètres carrés en R de C, au bout dune ruelle intérieure, dans une ancienne menuiserie de tournage. Trois mètres quatre vingt sous plafond. Des portiques en IPN où on peut accrocher ce quon veux de lourd. Le couvert ne va pas tarder à rejoindre ce plafond qui mattire depuis que je lai vu.
Au dessus, et à côté, jaurais bientôt les grands St Georges peints de Alain et les Éléphants photographiés et peints de Jean-Louis. Riche période de discussions prolifiques et pacifiques.
Ce à quoi personne ne croit jamais va avoir lieu. Une nuit, latelier de Jean-Louis brûle avec tout, tout ce qui était dedans depuis plusieurs années.