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_Robert Guillermet (archive 2001)
Peut-on s'empêcher d'aimer sa mère? On peut pas parce qu'on connaît son odeur, sa démarche, ses reins, ses yeux. Parce qu'on est dépendant. On est régi. Par les yeux par la voix elle fait de nous à peu près ce qu'elle veut. Comme moi je fais à peu près ce que je veux par les yeux et par la voix avec un chien normal. Quand on est sur ses genoux elle obtiendrait n'importe quoi. On marche ensemble. On rit ensemble. On est triste ensemble. Elle nous a essuyé le derrière, mouché, décoincé le kiki de la braguette. Je suis triste parce que ma mère est triste, par contagion, par mimétisme. Sans autre raison. Sans tristesse.
Tant qu'elle respecte les apparences de l'amour, c'est à peu près impossible à un enfant de déceler le désamour de sa mère. Car la mère, à l'intérieur des apparences de l'amour a aussi dans ses attributions de punir, faire la gueule, contraindre. Comment savoir si on est contraint par amour, par vengeance, par manoeuvre?
On est du sang qui a poussé dans son ventre et quand on naît, on braille parce que ça fait mal d'en sortir. On peut avoir comme hypothèse que la confiance. Qui peut être difficilement démentie. Les apparences sont énormes : la fête des mères, les chansons sur la mère, le calendrier de la poste avec les chatons, les canetons, les chiots, les poulains, les oisillons et puis les devoirs à la maison, les bobos pansés, les petites peines racontées, la peur confiée.
On ne peut pas avoir comme hypothèse que la confiance. On n'a probablement pas encore vu de bébé regarder avec suspicion le sein, demander des tests, des analyses de lait. Se méfier. Ils se jettent sur le sein comme nous vers midi et demi on se jette sur la mortadelle. Si la mère invite son enfant à traverser la rue alors qu'une voiture arrive il traversera et se fera écraser.
C'est un psychiatre qui à cinquante ans m'a orienté sur la voie de la méfiance. J'avais plus de 10 en triglycérides, 5 en cholestérol, j'étais pré diabétique, je venais de procéder à une T.S. assez bien organisée. Je valais pas cher. Sinon je m'en prenais qu'à moi-même. Je me battais moi-même, je me méprisais, je me chiais dessus. A cinquante-huit ans j'ai fait une hypothèse de méfiance. A cinquante neuf j'étais dans les albums photo, les actes notariés, avec une loupe. J'ai fait une enquête. Comme un flic. A soixante et un ans j'ai refermé l'enquête. L'hypothèse de méfiance était la bonne. J'aurai pris un coup de peigne à carder sur la figure, ça m'aurait fait le même effet.
   

    J'ai essayé de savoir qui j'étais. Tout seul. Pendant 50 ans. C'est très dur.
Maintenant je me renseigne auprès des autres. C'est moins dur. J'interroge des témoins, des lieux, des documents, des photos. Ça me serait pas venu à l'idée il y a vingt ans. Il y avait que moi qui pouvait savoir sur moi. On est assez bien renseigné par l'extérieur. Je ne pouvais pas m'en douter. Je pouvais pas.
    J'ai pris mes habitudes dans le midi moins le quart, je respire à Lyon, j'aime environ trois cents personnes dont quelques unes, beaucoup.

Robert Guillermet a tiré sa révérence le 4 mars 2010.

Publications :
Jus de Cep (Alain Buyse éditeur, Lille, 1994, np). Alain Buyse éditeur : 12, rue des vieux Murs, 59800 Lille (Tél.: 03.20.55.53.72)
Je le sais, in Siècle 21, n°2 (printemps 2003)
Picasso et moi, in Siècle 21, n°5 (automne-hiver 2004)
Spasmes (édition du Limon, 2008, 80 p., 15 euros). Les éditions du Limon : 9, impasse de l’Ancienne Prison, 71100 Chalon-sur-Saône (Tél. : 03 85 93 47 65).

D'autres écrits de RG, dont son autobiographie, ont été déposés à l'Association pour l'Autobiographie (APA), à Ambérieu-en-Bugey (01) <http://fonds.sitapa.org/consulter/index.php>
L'association a gardé et développé une des idées de Robert : "Le Garde-mémoire, projet d'animation.En 1979, Robert Guillermet, «acteur-animateur-conteur» a entrepris une collecte d'histoires de vie : Le Garde-Mémoire. Ce titre nous a plu, et nous le lui avons emprunté (merci à lui !). «Un cantonnier meurt deux fois, écrit-il, une fois par la mort, quand il meurt. Une deuxième fois cinquante ans plus tard, par l'oubli». D'où cette idée du Garde-mémoire, conçue pour une équipe d'oreilles et de regards (journaliste-poète ; photographe ; dessinateur) :
«inviter des artistes à recueillir des traces, écouter des moments-clés de biographie, des fragments d'existence, des moments d'étonnement, des plis de visage. Les épurer, les authentifier auprès de l'auteur de vie... Établir un matériau brut, à partir duquel il soit possible de créer une œuvre unique, un original (...).
Le projet de Robert Guillermet a connu à plusieurs reprises une mise en œuvre (à Marseille-Nord en 1979, à Ris-Orangis en 1982). L'idée reste toujours actuelle...". Michel Vannet, directeur de la Médiathèque.





l du même auteur ailleurs sur le site l
_1996-1999


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